Les émouvants discours du président de la maison du livre Frédéric Ohlen

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

M. Frédéric Ohlen, président depuis la création en 2007 a laissé sa place à un autre ecrivain reconnu, M. Nicolas Kurtovitch (relais de l'association des écrivains).
Frédéric Ohlen au dernier SILO avec Titaua Peu, il avait prédit sa réussite avec l'ouvrage PINA. Frédéric est un grand connaisseur ! Photo JP


Le reste du bureau de la Mlnc est le suivant :
• 1ere Vice-présidente, Mme Juliette Maes au titre de Lire en Calédonie 
• 2d Vice-présidente, Mme Françoise Cayrol au titre de l'Université de la Nouvelle-Calédonie
• Secrétaire, M. Philip Markham au titre des amis de la reliure
• Trésorier, Melle Valérie Chardonnet au titre du Sci-fi club.
Ce bureau est élu pour la fin du mandat en cours jusqu'à décembre 2018.
Nous remercions chaleureusement l'ancien président pour son investissement pendant 10 ans, sa bienveillance et sa grande générosité.
Nous remercions également l'ancien trésorier, M. Manuel Touraille au titre de l'ADAMIC pour son engagement.
(message de la nouvelle direction MLNC)

Photo MLNC

Photo MLNC

La MLNC a réouvert ses portes à la "Tour Eiffel du Livre" (étage de la salle Eiffel, bibliothèque Bernheim), l’inauguration des nouveaux locaux s’est déroulée mercredi soir.

DISCOURS PRONONCÉ LE SAMEDI 4 NOVEMBRE 2017

DANS LES JARDINS DE LA MLNC

Mesdames, Messieurs,

Chers amis de la Maison du Livre,

La nostalgie n’est pas mon fort. J’ai toujours préféré le pas qui suit au pas qui précède, toujours, j’ai préféré en-visager l’avenir au lieu d’encenser le passé. Mais vous me permettrez de faire, pour cette fois, une exception. N’en déplaise aux grincheux, à ceux que terrassent ipso facto l’inertie et l’indifférence, la violence et les difficultés, la vie ne m’a jamais paru absurde et sans issue. Il n’y avait que deux façons de servir la Clarté : enseigner et transmettre aux plus jeunes les valeurs que j’avais reçues de mes proches par le sang ou l’Esprit, et, là où les sociétés et leurs autorités de toutes sortes persistent à ignorer les lacunes et les cris, fédérer des êtres de bonne volonté pour tenter de faire quelque chose.

On ne peut être libre seul et mener, humainement et artistiquement, ses propres combats. Fort de ce constat, j’ai consacré trente ans et plus de mon existence à rassembler des gens formidables, ceux qui pensaient que marcher ensemble rendait possible tous les miracles. Ces tresses improbables, à ma grande surprise, ont perduré après moi. De cette histoire secrète, je voudrais vous dire brièvement quelques mots.

Ce furent d’abord trois décennies extraordinaires. 1974-1984 où nous avons, à l’enseigne du club La Gourmette, redonné ses lettres de noblesses à l’équitation en Nouvelle-Calédonie : création des premiers concours complets, des premiers critériums et championnats interclubs, introduction du horse-ball, de la voltige équestre, des carrousels liant en musique, avant les Zingaro et Bartabas, cavales et cavaliers. Puis, de 1987 à 1997, vint l’ère du Sci-Fi Club quand, par le jeu, le cinéma, la littérature, cette aspiration à plus vaste que soi trouvait pour beaucoup une réponse concrète. Puis il y a dix ans, dans la salle Eiffel de la bibliothèque Bernheim, là même où nous allons prochainement revenir, nous fondions la Maison du Livre et prenions possession de ce bâtiment de bois et de brique tout juste restauré. Une demeure enfin accessible, offerte à chaque Calédonien. Car oui, ce pays a des choses à (nous) lire et à (nous) dire ! Un message tout simple qui a encore ses négationnistes et ses détracteurs.

Dix ans ! Une collection d’instants, de moments uniques… Je n’ai rien oublié. Soixante enfants riant et se pâmant un samedi matin, non devant Guignol, mais face au Nez de Nicolas Gogol. Yves Duteil dédicaçant notre Livre d’or pour nous « emmener vers demain ». Notre manguier magique qui fait pleuvoir ses fruits sur quelques récalcitrants de la syntaxe. Tous ces textes résonnant sur les ondes à la place des horoscopes. Un violoncelle sculptant les sanglots d’un aigle-pêcheur. Les totems du sieur Lôter comme autant d’échelles posées contre le Ciel. Les lapins et les chats, les poules et les vagabonds demandant asile à nos vérandas. Les verres de l’amitié jusqu’à pas d’heure au milieu des pizzas. Les plumes en résidence sommées de produire sous le diplôme roussi de vieillesse d’un certain Jean Mariotti. Les pommes-Cythère que les gamins s’arrachent. Les heliconias dévorés par une armée de sauterelles géantes. Les livres, donnés par tonnes, s’empilant à l’accueil. La voix du vieux Pebou ou d’un Nono chouchou du général Patch. La visiteuse avouant qu’elle dormait là, « à l’époque », dans tel coin de parquet, au fond du couloir. Les cailloux des voyous ricochant sur les tôles. Les voleurs d’eau, les tagueurs de porte, ceux qui inventent et ceux qui rêvent. Un monde. Oui, un monde, une écologie. Avec ses loups, ses fauves, ses passants.

Il y eut, bien sûr, d’autres aventures, moins connues, plus transversales – mais tout aussi abouties, et désormais assez adultes pour aller leur chemin en oubliant qui, jadis, les a cœur à cœur pétries avant même qu’elles ne naissent… J’ai confiance dans leur destin, dans leur aptitude à imaginer, à agir, à ne surtout pas déclarer forfait en proclamant la vanité de tous nos efforts.

Il ne suffit pas de réussir, de mener à bien ses projets personnels en publiant une œuvre qui a trouvé tous comptes faits son public et se diffuse dans tout l’espace francophone, y compris en Afrique et dans le Maghreb. Il ne suffit pas non plus, sur le plan professionnel, d’accéder tardivement aux plus hautes fonctions en faisant prévaloir un instant ses idées sur la langue, sa capacité de résilience, ses divers modes d’apprentissage.

La vie, comme le roman, sont les lieux privilégiés de l’impossible. Alors, osons défier encore, nos petits livres en main, le Néant et la stupidité, lutter jour après jour contre toutes les formes de surdité et d’aveuglement. Vous le savez depuis Lucilius, et ces lettres que lui adressait ce rabat-joie de Sénèque pour le convertir au stoïcisme : « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. »

J’ai foi dans le tandem Nicolas–Jean-Brice pour écrire la suite. Et je vous demande à tous, non pas « de vous arrêter »…, mais de leur apporter votre concours – pas seulement de vagues acquiescements ou des agréments donnés du bout des lèvres. Avec toute ma force de conviction, avec toute ma reconnaissance pour ceux, nombreux, qui nous ont soutenus et suivis, je dis aujourd’hui au revoir à la Maison du Livre et longue vie, très longue vie à la future Tour Eiffel des livres !

         Frédéric Ohlen

Image d'illustration photo du net modifiée

Image d'illustration photo du net modifiée

DISCOURS PRONONCÉ LE MERCREDI 13 DÉCEMBRE 2017

DANS LES JARDINS DE LA BIBLIOTHÈQUE BERNHEIM

Mesdames et Messieurs,

Chers amis de la Maison du Livre,

Longtemps, je me suis levé de bonne heure. Sans l’avoir jamais recherché,  par pur tempérament, par une sorte d’élan qui m’est tout naturel, et quels que soient ma fatigue ou mes soucis, je m’éveille à la pique du jour. Je suis de ceux qui, après quelques heures de sommeil, aiment voir à l’Est surgir le soleil, de ces amateurs de bons mots qui se damneraient pour un bon début et pour qui la discrétion, la fraîcheur de l’aube valent cent fois l’emphase des crépuscules. Mais dans la vie, comme dans les livres, il faut savoir conclure. Certaines fins sont aussi des naissances. Elles seules donnent un sens à ce qui fut semé.

Aujourd’hui, un cycle s’achève. Un autre commence. La Maison du Livre a mué. Voyez ! La chenille sort de son cocon, vole du Port-Despointes au Centre-Ville pour à nouveau battre des ailes. Il a suffi d’une poignée de semaines pour que nous passions d’un site historique, habité et animé durant une décennie,  à un bâtiment hors norme lui aussi : l’ancien pavillon de la Nouvelle-Calédonie à l’Exposition universelle de 1900, démonté et remonté grâce à la générosité d’un mineur mécène, pour devenir cette bibliothèque où nous sommes.

On a oublié le nom de son architecte. En revanche, on a retenu, et pour cause, celui du concepteur de sa structure. Même un béotien traversant l’étage ne peut manquer de remarquer entre ces boulons rivés à chaud, ces croisillons, ces entretoises, une ressemblance frappante avec un monument en son temps très contesté, cette tour symbole même de l’Esprit nouveau. Et quelle fierté de demeurer désormais liés à ce « A » de fer né des ateliers Eiffel à Levallois-Perret.  Là même où naquirent la Statue de la Liberté, le viaduc de Garabit ou l’une des gares de Budapest !

Avoir un toit, certes, c’est capital. Et c’est bien ce que nous célébrons ce soir. Mais nos missions vont bien au-delà de ces murs. Lire et faire lire, inciter à écrire et à publier, de mieux en mieux et de plus en plus en tous lieux de la Grande Terre et des Îles. Un pays se construit – aussi – par les mots qu’il pose, par ceux qu’il tresse ici et là-bas pour témoigner du passé et inventer l’avenir. « Ma tâche, disait Senghor, est d’éveiller mon peuple aux futurs flamboyants / Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la Parole ! » (Élégies des Alizés, 1935).

Car un jour, comme dans l’acte IV de La Tempête, nos divertissements seront finis. Nous nous dissiperons dans l'air subtil. Tous nos fantasmes sans assises, tous nos temples solennels se dissoudront, ils s'évanouiront sans laisser derrière eux ne fût-ce qu'un brouillard. Oui, nous sommes de la même étoffe que les songes,  et notre vie infime est cernée de sommeil... Demain, seuls en témoigneront  nos chants s’ils portent en eux assez de force pour dire l’Homme, tout l’Homme, et le mettre debout.

Faut-il pour le comprendre avoir reçu le sceau des écoles ou des Églises ?  Rien n’est moins sûr. Souvent les gens fonctionnent à l’instinct. Sans peine  ils séparent l’essentiel de l’accessoire, et devinent d’emblée, sans cours, sans discours, l’importance de certains actes : planter un arbre après les flammes,  les cyclones ou les tsunamis, aimer la vie, s’aimer soi loin des colériques, et puis  – au nom de quelle folie douce ? – concevoir un enfant, le créer de sang ou d’encre malgré l’époque, Daech et la mer qui monte, le guider ensuite, à deux ou à mille, pour lui offrir le monde et son intangible beauté.

En coupant le ruban tout à l’heure, nous y penserons. Nous ouvrirons un espace pour nous agrandir, pour « lier le visible et l’invisible ». Vous qui entrez ici, ne perdez pas tout espoir. Redevenez le gosse qui s’émerveille de voler sur une balançoire  – et sait qu’il peut toucher le ciel.

Frédéric Ohlen

[1][1] Une balançoire vertigineuse a été installée au beau milieu de la salle Eiffel ! Venez l’essayer… !

La maison Célières, une photographie de Joël PAUL. C'était le bon temps !

La maison Célières, une photographie de Joël PAUL. C'était le bon temps !

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