Sylvain Derne, nouvelle plume calédonienne révélée par le prix Michel Lagneau, signe un premier roman attachant, à découvrir au Silo 2019 !
Résumé :
Maek quitte soudainement le domicile de sa compagne Carole et leur quotidien provincial, pour aller quérir sa liberté à la capitale. À Paris, le quadragénaire kanak, touche-à-tout exubérant qui s'est exilé en Europe vingt ans auparavant, retrouve au fil d'une semaine mouvementée quelques têtes connues de la « diaspora océanienne ». Il accepte en chemin un curieux défi : convaincre le vieux Samy de rentrer au pays. L'ancien compagnon d'échappée, devenu sans-abri, s'est résolument « fixé au pavé comme un bénitier sur le platier »...
Extrait :
Sur les klaxons lointains et le grondement de la ville qui jouaient en sourdine l’immuable partition de millions d’anonymes, un soliste avait commencé à poser une mélodie familière. Des bribes de son chant allaient et venaient autour de la tente. Les paroles se firent plus nettes, atteignant soudain la conscience de Maek dans son demi-sommeil. Il sentit la tente trembler, puis une grosse paluche tâtonner en pratiquant l’ouverture. La trogne enjouée de l’aîné lui apparut, tout auréolée d’une lumière matinale éblouissante. « On dirait un sauveteur qui viendrait me tirer des décombres dont je suis prisonnier », songea Maek, se sentant incapable de bouger. « Ce sont les vivants en surface qui envoient Samy pour me tirer du royaume des morts. » Les pensées macabres lui venaient souvent au réveil. Il fallait généralement le café inaugural pour en dissiper l’arrière-goût. « Tu te mets aux taperas, toi le mécréant ? demanda finalement Maek, la voix enrouée. — Debout ! ignora l’hôte. Je suggère de se lever, il faut se préparer pour affronter la journée, prononçait-il de son débit à la fois posé et tout en saccades. On doit plier la tente avant d’être emmerdés.
Sur le prix :
Pour cette cinquième édition, c’est finalement l’auteur Sylvain Derne qui a remporté le sésame avec Le Souffle des invisibles, comme annoncé l’année passée, lors du dernier Salon International du Livre Océanien.
Ce SILO 2019 est l’occasion de donner à découvrir le texte qui nous a séduits. L’intrigue de cette œuvre empreinte d’humour se situe à Paris et raconte les tribulations de Maek, et plus généralement de la communauté kanak expatriée venue se risquer sur le continent froid durant quelques années, et hésitant quelquefois à rentrer au pays, peut-être par peur de ne pas y retrouver sa place.
Ce premier roman, sensible et inspiré, invite à une réflexion sur l’identité qui se construit et se consolide parfois en se confrontant à l’Autre, car, comme dirait Maek : « Il y a des proches qu'on ne peut qu'aimer mieux en s'éloignant d'eux. » Une thématique, ô combien d’actualité, à l’heure où nous fêtons les trente ans du programme Cadre Avenir qui a permis, depuis 1989, à plus de mille sept cents Calédoniens de se former en métropole et ainsi, se rendre compte à quel point l’éloignement du pays nous rapproche.
Mon père, Michel Lagneau, aurait sans doute été heureux de s’impliquer dans ce concours, y voyant l’aboutissement de ses aspirations : soutenir et promouvoir l’édition calédonienne. Artisan-imprimeur-typographe arrivé sur le Caillou dans les années soixante, il fonde les imprimeries Artypo en 1971, à Nouméa. Au fil des ans, les progrès techniques qui se font jour dans le secteur de l’imprimerie lui permettent de réaliser des ouvrages de plus en plus sophistiqués, à la hauteur de ses exigences.
En 1990, Michel Lagneau propose aux éditeurs locaux de partager avec lui cette passion du livre : Artypo n’hésite pas, alors, à investir afin de pouvoir éditer localement des ouvrages. Homme dynamique, il n’a jamais oublié l’esprit de compagnonnage qui anime la corporation des maîtres imprimeurs et nous a transmis son goût du travail bien fait et son esprit d’entreprendre.
Il nous quitte le 3 février 1999, laissant derrière lui quatre enfants et une imprimerie, Artypo, qui, aujourd’hui, reste encore l’un des fleurons de l’industrie calédonienne.
Ce prix littéraire est un hommage à sa mémoire et sa passion pour les mots.
Nadège Lagneau
Partenaires :
Cet ouvrage a été publié avec l’aimable concours des imprimeries Artypo, mécène du prix Michel Lagneau, en partenariat avec la maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie, la bibliothèque Bernheim, l’ADAMIC, l’ADCK-centre culturel Tjibaou et les éditions Madrépores.
Les précédents lauréats du prix Michel Lagneau ● Le Poids des rêves, Samir Bouhadjadj, 2007. ● L’Hom Wazo, Dora Wadrawane, 2009. ● Chroniques de la mauvaise herbe, Vincent Vuibert, 2013. ● Sang mêlé, Patrick Zaoui, 2016.
Sylvain Derne
Né à Hyères, dans le Var, en 1985, Sylvain Derne grandit à Païta où sa famille s’installe alors qu’il n’a que quatre ans. C’est là qu’il noircit ses premiers feuillets. « Très tôt, quand je me suis retrouvé devant une page blanche avec des feutres et des crayons, j'ai eu la sensation d'une liberté grisante, infinie. On s'échappe dans le monde qu'on invente. À force, le besoin "d'élucubrer" devient une seconde nature ! »
Il découvre très jeune l'écrivain italien Dino Buzzati et son roman illustré La Fameuse Invasion de la Sicile par les ours (1945), puis Le Désert des Tartares (1940), deux livres qui le fascinent et ancrent son envie d’écrire. « Le premier parce qu'il s'y passe toutes sortes de choses manifestement absurdes, mais auxquelles on croit volontiers (des congrès d'animaux en train de discourir sur l'état du monde...) Le deuxième parce que c'est un roman d'inaction, narrant l'attente vaine d’une bataille qui ne se livrera... qu'après la fin du récit. À partir de cet apparent néant, l'écrivain fait une brillante démonstration que l'on peut tout à fait happer un lecteur par la psychologie d’un personnage. »
Bac en poche, il poursuit des études de journalisme à Montpellier, puis à Paris. En 2011, il collabore au scénario du projet Imulal, une terre, des racines et des rêves, du réalisateur kanak Nunë Luepack, consacré à la jeunesse calédonienne partie se former loin du Caillou. Ils remportent le prix du meilleur pitch au FIFO 2012 et le Grand Prix de la Sélection.
Pacifique au Festival international du cinéma des peuples Ânûû-rû Âboro, à Poindimié.
L’année suivante, il signe avec François Teste un documentaire radiophonique d’une heure pour France Culture intitulé Les Cartes et la Mémoire. Une évocation du travail de cartographie de l’IGN réalisé à partir de photos aériennes, dans lequel son propre grand-père a fait sa carrière.
Depuis Paris, il produit et présente, en 2014, l’émission radio Décalage horaire, diffusée sur NC 1ère, parcourant le territoire métropolitain à la rencontre des Calédoniens de l'Hexagone, exilés pour « étudier, servir l’armée, travailler, se soigner ou fuguer… »
C’est aussi à Paris qu‘il rencontre Faustine qui deviendra sa compagne, et avec laquelle il s’embarque pour le Canada : ensemble, deux ans durant, ils parcourent la Colombie-Britannique, sillonnent les prairies de l'Alberta et du Saskatchewan, explorent Montréal et même Seattle aux États-Unis.
Durant cette courte période, il vit de petits boulots – dans un centre équestre, une ferme d'huîtres, ou une radio, CILS FM, minuscule station communautaire francophone de Victoria. À Montréal, il fréquente assidûment la bibliothèque nationale du
Québec, travaillant à des textes personnels, qu’il peaufine dans des ateliers d’écriture.
Début 2018, il revient, avec sa compagne, s’installer sur le Caillou. Il y collabore avec divers médias en tant que journaliste-pigiste ou rédacteur dans un service de communication institutionnelle, mais projette de s’impliquer dans des projets à caractère plus culturel. « J'ai une obsession maladive : éviter la routine. » Un clin d’œil à l’officier Giovanni Drogo, surveillant en vain le désert des Tartares d’où aucun ennemi ne surgit.
Le Souffle des invisibles gagne les faveurs du jury de l’édition 2018 du prix Michel Lagneau. « Avec ce texte, j'entendais rendre hommage à plusieurs compagnons d'échappée avec lesquels j'ai traîné en France. Certains n'ont jamais remis les pieds sur nos îles depuis les années 1980, mais ils restent de magnifiques ambassadeurs de leur culture. »
En 2018, Sylvain Derne est également le lauréat de la résidence d'écriture au Château Hagen attribuée par la province Sud. Il y travaille sur son prochain ouvrage : « Une sorte de carnet de voyage qui entremêlerait le vu, le ressenti avec l'imaginé, le lu, le raconté, par des personnes croisées un instant. Le décor est nord-américain, inspiré de nos deux années de nomadisme au Canada. »
Depuis octobre 2018, Faustine et Sylvain sont « les parents extatiques et crevés d'une petite Diane qui se marre déjà beaucoup ».
Le Souffle des invisibles est son premier ouvrage publié.
Au SILO
Jeudi 26 septembre à Koné de 13h30-14h00
Rencontre avec Sylvain Derne, romancier – Lauréat 2018 du Prix Lagneau du 1er roman
Dimanche 29 septembre à Poindimié de 10h30-11h30
Imaginer - En quoi la littérature participe-t-elle à la citoyenneté ? Avec Anna Funder, Guillaume Berger, Sylvain Derne, Alice Zeniter
Samedi 5 octobre à Nouméa de 8h00-8h40
Rencontre avec Sylvain Derne et Guillaume Berger (romanciers)