Mots pour Maux : Joël PAUL écrivain, blogueur, humaniste

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

La musique qui convient à ce récit et ce ballet d'hélicoptères

Mission Earthquake

 

 

« Tout moun sou tè a fèt tou lib. Tout gen menm valè (nan je lasosyete), tout moun gen menm dwa devan Lalwa.

Tout moun fèt ak yon bonsans, tout fèt ak yon konsyans epi youn fèt pou trete lòt tankou frè ak sè. »

 

Karl Hook essayait de comprendre le sens de la prière que cette femme, à genoux, récitait devant la statue de François-Dominique Toussaint dit Toussaint Louverture sur le Champ-de-Mars. Une fois de plus, Toussaint avait résisté. Droit et fier, il était planté devant le palais présidentiel effondré.

 

The first Lieutenant Hook venait, une dernière fois, de tenter avec ses hommes de sortir des rescapés des décombres du palais mais il fallait se rendre à l’évidence, aucun des sénateurs en réunion ne devait avoir survécu. Il s’épongea le front en regardant une fois de plus cette femme agenouillée devant le bronze de Toussaint Louverture. Le spectacle lui rappelait la Louisiane dont la population en majorité noire ressemblait à celle-ci après le terrible ouragan Katrina. Après une longue hésitation, il donna enfin l’ordre à ses hommes de se mettre en marche pour rejoindre le point de ralliement ou un hélicoptère viendrait les récupérer.

 

 « On met nos masques à gaz les gars ». Ils enfilèrent leurs masques du type M40 plutôt destinés aux risques chimiques mais c’était la consigne. Chaque GI ajusta son masque, avec le même geste mécanique, en expirant fortement pour décoller les clapets de sortie d’air puis en serrant la sangle pour bien coller le masque sur son visage. L’odeur dans les rues du centre ville était insoutenable. Des cadavres jonchaient les trottoirs sans personne pour les enterrer. Les bras disponibles étaient utilisés à sauver d’éventuels survivants.

 

« Cheat Earthquake, let’s go ! » ordonna-t-il à ses hommes avant de se mettre en branle.

 

Tous les hommes de sa section étaient épuisés mais aucun ne le montrait devant tant de misère. Les regards désespérés des survivants qui croisaient la section ainsi équipée étaient insoutenables. Depuis deux jours, dix-neuf hélicoptères se relayaient pour vider les cales du porte-avions Carl Winson de tout ce qui pouvait servir à nourrir ou aider les sinistrés. Il n’y avait plus rien à bord. Karl et ses hommes savaient que c’était leur dernière mission. Ils allaient partir en simulant une autre rotation en trompant la population. Ils avaient le cœur serré.

 

Une fois arrivé au « landing strip » sommairement aménagé depuis leur arrivée et après avoir dû repousser mendiants, estropiés qu’ils croisèrent en traversant le centre ville, ils grimpèrent un à un dans l’hélico turbine en rotation en se faisant copieusement engueuler par le pilote qui leur rappelait impérieusement de faire vite.

 

« Allez grouillez-vous, bande de bâtards. Je n’ai pas envie de faire feu sur ces malheureux ».

 

Le pilote craignait que son appareil soit pris d’assaut. Le premier jour de leur mission, un groupe d’Haïtiens menaçants avait tenté de le faire, ils durent faire usage de leurs armes en tirant en l’air pour les disperser.

 

Une fois dans la carlingue, ils ôtèrent leurs masques. Ils étaient abasourdis par la fatigue, le bruit de la turbine et les pales en rotation. Ils contemplèrent, en décollant, une dernière fois le spectacle de Port-au-Prince dévasté par l’un des plus importants tremblements de terre que la région ait connu. En prenant de l’altitude pour rejoindre le porte-avions mouillé au large, le gros oiseau bruyant leur dévoila le pourtour de la capitale meurtrie, entourée de collines appelées mornes. Karl qui passait pour un officier lettré savait que morne en français veut dire : empreint de tristesse.

 « Les Créoles en choisissant ce mot pour désigner une petite montagne avaient peut-être anticipé cette catastrophe », se dit-il. Port-au-Prince est entouré de tristes collines. « Pauvres gens, pauvre pays, toute la misère du monde est sous nos pieds », lança-t-il à ses hommes. « Yes, sir », répliquèrent-ils d’une même voix.

 

Ils ne se l’avouèrent pas mais chacun des hommes de l’US Navy pensait être un privilégié avant cette mission. Ils se la coulaient douce par rapport à leurs collègues sur les théâtres d’opérations en Afghanistan ou en Irak mais le spectacle de tous ces morts, femmes, enfants, vieillards qui n’avaient eu que leur seule misère au poing pour se défendre les attristait au point de pleurer.

 

Des larmes traçaient un sillon sur les joues poussiéreuses de certains soldats. « Ça ne pleure pas un homme », disait le chanteur Ringo dans les années quatre-vingts. Pourtant des soldats ont pleuré à Port-au-Prince trente ans plus tard à cause d’un séisme qui aurait pu être baptisé « Amalric magnitude 7 », un méchant séisme qui a ordonné à son bataillon de secousses : « Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens ».

 

Le 16/10/2010 juste après mon retour de Vanuatu après avoir pris connaissance dans l’avion du drame haïtien.

 

Traduction : Premières phrases de la déclaration des droits de l’homme en créole

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.
Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

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