Mots pour Maux : Nicolas Kurtovitch, un poème inédit pour cette période de pandémie

Quitter la brume
Quitter la brume
brume poussière et débris par un tunnel
jusqu’aux arbres rabougris mais plein de soleil
l’eau plate avance
à petits coups jusqu’à heurter en silence
la maison qui n’est plus habitée sinon d’herbes sauvages
dormir pourquoi n’est-ce pas possible
si seulement la pluie s’arrêtait
et le froid et la faim et la peur
suivre la berge
me dit-on jusque là-bas la porte bleue
mais la boue sur la berge me retient
ils se connaissent
se saluent au café petit matin froid intense
puis se séparent leurs pensées déjà bien loin
je regarde par la fenêtre
depuis là où assis sur la chaise je lisais
je vois le temps avancer au rythme des petits chiens tenus en laisse
la friche
par au-delà les rivages les gris les sales les encombrés
en arrière des cages pour humains bariolées laides mal fabriquées
si économiques
tant lucratives lapins partis
disparus exterminés morts de désespoir
un gamin hurle
un autre plus âgé peut-être sorti de l’asile étend son bras rigolard
arrête le passant pour un rien il ne sent pas la pluie sur son visage
est-ce la pluie que j’entends
de la clarté de la lune demeure le souffle du vent
autrefois il me portait jusque la maison
ce reflet après la pluie
sur les branches embrumées est-ce ton sourire
le nez à la fenêtre j'admire le vent et les grosses feuilles qu'il bouscule
j’ai cru voir une barque
peut-être une barque grise peinture ou usage
la pierre est floue passée au papier de verre
des images
des photos peut-être se présentent en désordre
elles montrent une ville ou rien un immeuble ou un arbre
la mer le port
elles sont extraites d’un album ancien oui ancien
où reposent également des visages amis
la rouille
gagne partout elle s’affiche rouge noire entre deux trous
ce détritus ôter ce sourire du pouce faire de la poussière
il se chargera
lui le vent de disperser tout ça
moi par les pierres je remonterai le torrent
par un matin
d’avril dès le soleil apparu on les vit se presser
vers les quais pas dix par vingt empressés
avec le soir il est encore possible d’imaginer
le lendemain tandis qu’à la nuit seul demeure sensible l’incertitude
de ce qui va advenir par la fenêtre on peut observer une lune
c’est la nuit oui
la nuit rien d’autre un autre peut-être est-il à ses côtés
il dit c’est seulement le soir le soir et rien d’autre c’est là toute la différence
échoué sur le rêve
non là sur la grève toute grise
un paquet d’algues toutes en longueur et luisantes
quelques phrases
pour dire que la nuit s’invite qu’il est temps
de fermer boutique il faut penser à la route à faire
par-dessus d’immenses amas blancs
nuages transparents toutes formes flottantes
oui par-dessus lesquelles s’évadent les animaux
C’est ainsi que s’achèvent
les jours à la mer bientôt ils seront souvenirs
dépose le texte regarde comme tout devient page blanche
la brume ne laisse voir
qu’une ombre de rocher la distance réduite à une seule main
si petite qu’elle n’englobe que l’inconnu
Nicolas Kurtovitch
En ce mois si particulier, de mars 2020
Nicolas Kurtovitch naît à Nouméa le 20 décembre 1955. Sa famille maternelle est installée en Nouvelle-Calédonie depuis 1843. Elle compte parmi les siens l'un des premiers français ayant posé le pied sur ce qui n'était encore, aux yeux de l'Occident, qu'une « terra incognita » : Jean Taragnat.