Le numéro 53 du petit journal de Tieta spécial fête des mères en téléchargement.

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

Le numéro 53 du petit journal de Tieta spécial fête des mères en téléchargement.

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Le petit plus de la rédaction

Bonne soirée et bonne fête à toutes les mamans du monde.

Le texte qui suit relate ma naissance. Nous sommes en 1964. Et j’ai une pensée très forte à mes deux mamans, nenë Hmohmoa (Hélène dans le texte qui suit) et nenë Pamani (partie rejoindre sa sœur l’année d’avant dans l’autre monde.) Un extrait du texte avait déjà été publié dans Nuelasin (?) Je vous livre tout le récit à l’occasion de l’anniversaire d’un an de votre gazette. 

Que mes lectrices et mes lecteurs me veuillent absoudre. C’est déjà l’autre partie de la journée. Je voulais vous envoyer Nuelasin avec le lever du jour. Je le fais à son coucher. En ce moment, je cours. Et cela n’arrête pas. 

Ah ! j’allais oublier de remercier Mme Alexane Rousset (dans ce numéro) qui était bien passée dans mon bureau hier après-midi, juste pour me saluer. « Qaja, kuca » comme disent les drehu. « Dire et faire » Mme la lectrice de Nuelasin l’a dit (dans le journal) et elle l’a fait. Oleti beaucoup de la visite.

Bonne lecture de la vallée. Wws

Hélène

Quand Hélène ouvrit ses yeux ce jour là, elle ne vit plus son mari qui s'était levé tôt. Très fatiguée de la longue nuit entrecoupée par ses sorties nocturnes, elle mit du temps pour se traîner jusqu'à la base du poteau central. C'est là que son mari, entreposait le thermos d'eau chaude. Elle prit son thé accompagné de biscuits qu'elle sortit de la barrique du garde-manger. De l'autre coté du foyer de feu, Boula, le vieux du clan continuait de limer son couteau. Il s'apprêtait à quitter la maison pour aller défricher son champ d'ignames et déplacer son cheval. Le bruit de la lime sur la lame du couteau provoquait sur Hélène une sorte de nausée. Elle se sentait très mal et avait des envies de vomir. La jeune femme arrivait déjà à son terme. Elle allait donner naissance dans le clan de la famille de son mari pour la quatrième fois. Le vieux, lui, ne jetait même pas un regard aux souffrances de la dame. Ses yeux étaient fixés sur les mouvements d'aller et venue de son poignet sur son couteau. Il levait ses yeux de temps à autre pour regarder le feu dans son foyer et cracher dans la cendre. Et il reprenait son travail. Autour de lui des chiens. Et leur présence témoignait de l'activité journalière du vieil homme. Le vécu tribal. Il allait à son champ pour apporter des soins à ses ignames mais il était aussi le meilleur chasseur de la tribu. Quand il y avait des gens qui venaient le voir pour leur champ d'ignames dévastés par des cochons sauvages le vieux Boula se dressait en salvateur. Il abattait le cochon le jour même ; c'est qu'il possédait la meilleure meute de chiens de chasse à la tribu. La vie du vieil homme alors était rythmée par le nourrissage de ses bêtes. Sa proximité avec les animaux faisait de la case une pouponnière. Vers la fenêtre ; on pouvait entendre des chiots geindre. Une portée de quelques jours.

Hélène, elle, sentait aussi son jour. Et, elle n'avait ce jour là personne sur qui s'appuyer pour l'aider à accoucher. La maternité à la tribu c'est une affaire de femme ; même pas de famille. L'homme ne touche pas le nouveau-né. Il l'observe de loin et cherche ses traits sur sa progéniture. Il était impensable qu'Hélène demandât l'assistance du vieil homme. Le vieil homme non plus ne s'attendait pas que la jeune femme lui adressât la parole. Chacun dans la case vivait dans son monde. 

Hélène, poussée par les douleurs de l'enfantement prit la veste militaire que son mari avait fixée sur la première panne circulaire et sortit. Dans la case le vieil homme interrompit son geste pour suivre sa belle sœur du regard. Il ne parlait même pas ; les chiens ne dressaient même pas les oreilles au bruit de la charnière de la porte qui grinçait. Leurs sens étaient réglés aux moindres mouvements du vieux Boula. La chienne continuait la tétée ; Zizoué était enroulée à côté du vieil homme. Les autres chiens de la meute gîtaient autour de la case. Une case bien gardée mais aussi isolée parce que personne d'autre que les gens de la maison et du clan venait perturber la vie à Refuge. Refuge ; c'est le nom que le vieux Boula lui-même a donné à la maison. Une fois rentré chez lui on ne sortait plus ou alors les mouvements des invités étaient très limités. Boula le vieux ; s'était déjà même expliqué par le passé avec le conseil des anciens pour les enfants mordus sur la route principale mais aussi des gens non-accompagnés qui arrivaient à Refuge. 

Les aboiements des chiens à la maison firent sursauter le vieux Boula. Il se leva et partit vers la route pour rejoindre Temara qui l'avait appelé. 

-       Oncle ; où est tante Hélène ?

-       Je ne sais pas. Lui reprit-il avec étonnement.

-       Elle est dans la case je suppose.

-       C'était juste pour lui apporter ces quelques feuilles de brède et ces tubercules.

Et ils cheminèrent ensemble vers la case entourée des chiens qui jouaient et courraient autour de leur maître. A quelques encablures de la case Temara héla sa tante pour la sortir et s'enquérir de ses nouvelles. Aucun bruit ne fit écho à sa voix. Elle réitéra son appel jusqu'à s'inquiéter du silence.

-       Mais, Oncle Boula, es-tu sûr que tante Hélène est dans la case ?

-       Je vais voir.

-       Non ; laisse-moi y aller. Apporte ces ignames et ces feuilles là-bas à la cuisine. Dis à Dolly de les cuisiner pour onze heures. Arrose la marmite de beaucoup de jus de coco.

Devant le vide de la case, l'inquiétude de Temara augmenta encore plus. Elle proféra des reproches à l'égard de son oncle. Les reproches frisaient même la malédiction. « Mais quelle idée de laisser toute seule tante Hélène avec oncle Boula ! » A Hunöj ; tout le monde le connaît. A part ses chiens et ses ignames le monde s'arrête de tourner. Elle sortit et appela la jeune Yaella qui lavait son linge sur le lavoir à coté de la citerne.

-       Ma fille, as-tu vu tantine Hélène sortir de la case ?

-       Elle est peut-être partie avec grand père Willy à Wé. Ils ont dû prendre le bus très tôt le matin. Mais la voix du vieux Boula fit contrepoids.

-       Non ; elle était dans la case, il y a quelques instants.

Le vieux Boula ; avait son temps à lui. De toutes les façons, les gens de la tribu le connaissaient, le vieil homme était toujours en marge. Il avait même déjà pris son sac ; les chiens le précédant ; d'autres qui avaient déjà saisi l'emploi du temps du vieil homme ont déjà traversé la route principale pour partir à Ifij. Là-bas, le vieux cultivait ses ignames et élevait son bétail.

Laissée, seule face à son instinct maternel et au doute qui la travaillait ; Temara s'engagea dans un petit sentier qui s'enfonçait dans le champ de caféiers, pas loin de la case, vers la petite porte de la case ; le coté ou dormaient la chienne et sa portée. Au milieu des caféiers ombragés par les colonnes de grands peupliers Temara lança un premier appel. Le vol des moustiques et le chant des oiseaux ne lui remirent que l'écho dans la pénombre. Elle s'immobilisa entre le tronc d'un bois noir mis en travers du chemin ; elle pria. Temara n'avait pas encore fait passer sa requête par le nom de Jésus-Christ que les cris d'un nouveau-né lui firent ouvrir les yeux. Hélène ; à quelques pas derrière la pieuse était à demi inconsciente. Ses cheveux recouvraient un coco sec sur lequel sa tête prenait appui. Elle était allongée de tout son corps sur la veste de son mari. Et au niveau de ses cuisses béantes gigotait un bébé ; un nouveau-né dont les cris se mêlaient aux joies de la Nature. Le vent dans les feuillages ; le chant d'oiseau sur une branche comme pour accueillir le nouveau-né. Hélène, elle aussi remuait de tout son corps comme pour éloigner machinalement cette souffrance qu'elle a sorti de ses entrailles. Temara pleurait. Elle pleurait toutes les larmes de son corps pour reprocher à sa tante Hélène de ne pas rester dans la case et donner naissance à son cousin qu'elle portait maintenant dans ses bras. Elle reprochait aussi aux autres femmes de la maison de ne pas prendre soins de sa tante. Dans ses propos ; il n'était pas question de reprocher aux oncles leur démission face à l'événement qui se nouait : la vie. 

Quand Hélène était revenue à elle ; elle était allongée dans la case. A Refuge, il n'y avait plus de chiens. A la place de la chienne qui allaitait ses petits ; dormaient Hélène et son bébé. Vers la fenêtre ; la petite porte ; la porte des femmes, est allumée un deuxième feu. Le feu de la naissance. Les femmes de la tribu viendraient rendre visite à la maman et son enfant à cet endroit. Là-bas où le vieux Boula affûtait son couteau ; une vieille maman a pris place. Elle était allongée et de temps à autre, par-dessus ses épaules jetait un œil vers la maternité. Elle veillait Hélène. Elle lui a déjà administré les feuilles ; les médicaments pour l'aider à retrouver sa forme, pour une nouvelle naissance.

A la cuisine, là-bas vers la maison en tôles ondulées, les jeunes de la tribu s'afféraient à cuire de la viande. Les femmes ont aussi leurs baraques ; et en attendant leurs marmites sur le feu ; lançaient leurs plaisanteries pour habiller cette journée de joie.

Le pasteur de la paroisse et les autres personnes des autres clans ne sont pas encore arrivés. Tous les gens de Hunöj et surtout du clan du vieux Willy l'attendaient. Quand Hélène était revenue tout à fait à elle ; c'était déjà vers le soir. Elle était entourée des femmes de la tribu. De toutes les femmes de la tribu et surtout des femmes de son âge. C'étaient leurs chants de louange qui l'avaient sortie de son état. Quand elle eut bien ouvert ses yeux ; Temara lui risqua quelques questions sur son geste.

-    Tantine ; pourquoi ne m'as-tu pas appelé ce matin. Tu aurais dû dire à Yaella d'aller me chercher pour t'assister ?

La voix de la plus âgée des femmes fusa alors d'à côté du foyer principal.

-       Hélène ; n'as-tu pas de bouche pour dire à Boula de sortir avec ses chiens de la case ? Elle rajouta.

-       La case ; c'est pour nous les humains ; pas pour les bêtes. 

Plus personne ne parla comme si toutes les communications avaient été brouillées par la voix de la vieille Ala. L'autorité maternelle est un droit. Et cette autorité là est incontestée parce que liée à la maternité. Quand Hélène voulut parler à Temara ; celle-ci la devança pour lui signifier que le geste était déjà préparé. Il n'y eut plus de bruit. Mais le silence dans ces occasions était aussi meublé de sanglots et de spasmes. Toutes les femmes pleuraient comme pour accueillir les paroles de Hélène.

-       La vieille Ala ; je m'abaisse devant toi et devant les autres femmes ici présentes ; pour présenter mon pardon d'avoir donné naissance à l'héritier de votre clan dans un endroit que vous connaissez. Qui dira au vieux Boula de sortir de la case ; de chez lui. J'ai accompli mon geste parce que dans ma tête ; si je donnais naissance dans la case ; les vagissements de mon fils auraient attiré les chiens du Vieux. Ils auraient fait de mon fils et de moi leur festin. Voilà tout. Voilà mon geste de pardon, voilà le geste que je présente devant le poteau central ici à Refuge. Que Dieu et les esprits de ce lieu nous bénissent tous. Oleti.

II n'y eut plus de bruit dans la case ; tout le monde attendait les remerciements et les paroles que la doyenne des femmes et du clan allait prononcer.

Avant que la nuit ne couvre tout à fait la tribu de Hunöj, le vieux Boula fut revenu dans sa case pour annoncer que le pasteur allait arriver pour prier. Le père du nouveau-né, quant à lui ne vit même pas Hélène ni son fils. Le nom du petit lui fut même imposé par le chef de clan. 

Léopold Hnacipan (Ole, oleti 2010 avec écrire en Océanie)

Publié dans Culture Kanak

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