Nuelasin numéro 50, fidèle au rendez-vous après la fête de l’igname à la tribu de Tiéta. A télécharger
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Vendredi 7 mai 2021
Bozu.
Le texte qui suit est un fruit ; résultat de mes recherches au sujet des gens de Hunöj partis dans l’autre monde mais qui ne sont pas enterrés dans notre cimetière tribal à Hnatro.
Hnatro : Le cimetière de Hunöj se trouve sur les terres des Ase, des propriétaires terriens (entre autres) de Huiwatrul. Il se situe entre Eika et l’école de Hnamelangatr. Le lieu-dit s’appelle Hnatro. Dans onze ans notre école sera vieille d’un siècle. Notre cimetière quant à lui, a 150 ans cette année 2021. Je m’explique. L’année de référence pour moi étant le départ de Mac Farlane en 1871 avec le pasteur Thaijö-qatr[1]. Le vieux est parti pour servir les causes de l’évangile de Jésus-Christ en laissant ses enfants, Hnacipan et Dremue. Il s’est remarié et est décédé en Australie dans le Détroit de Torres. Il dort sur l’île d’Orub (il a vécu 103 ans. 1820-1923 et marié trois femmes. Sisa-qatr une kanak et après deux femmes aborigènes) A Hnatro, la tombe de sa première épouse est celle qui n’est pas alignée, pas loin des tombes de la famille Hnacipan et Walewen (Hnamelen.) L’ancien cimetière étant de l’autre côté du terrain (de l’autre côté de la route) entre chez Bali et Qëmekë.
Bonne lecture. Wws
Dans le lointain
Lointain & Les esprits errants & Nos lieux de pèlerinage[2] ? : Les autres gens de Hunöj qui dorment quelque part sur cette terre, attendent de revenir un jour dans nos mémoires. « Kalabus[3]. En français, cela signifie la prison. Cet endroit a servi autrefois à isoler les malades atteints de la lèpre. Une ancienne léproserie. Ce devait être au tout début avant les années 1900. En 1849 exactement. Le premier malade de Drehu devait être de chez nous. Kalabus a existé avant Hnawetr[4] entre Kejëny et Thuahaik. Cila, à la tribu de Nang[5]. C’était la dernière léproserie avant l’ouverture du centre Raoul Follereau[6]. On y arrive par cette allée de pierres entassées. Cette allée de pierres mène vers la citerne que voici. Aelan écoutait de toutes ses oreilles. La citerne était creusée à même le sol. Deux mètres de large et une longueur à peu près de quatre mètres et une profondeur de deux mètres. Avant d’arriver à Hunapo i Qëmek il fallait passer par Kalabus. Une rangée de cailloux entassés faisait office d’allée. A l’époque, il devait exister des maisons à côté de la citerne. La toiture servait à recueillir l’eau de pluie pour l’alimenter. Mais la nature avait repris tous ses droits. De tout temps, quand on allait à Mele, Kalabus servait d’endroit pour se reposer. Il y avait un figuier aux fruits rouges sous lequel le passant s’asseyait avant de repartir. De là, il pouvait apercevoir les racines des grands arbres et des lianes tomber dans la citerne et plonger dans les entrailles de la terre. Les gens de Hunöj, dit Trotreijë ont grandi avec cet héritage de la nature et une autre partie aussi de mystères. Tout autour de la citerne, poussaient des flamboyants témoins de cette époque. Les xaj[7] et les autres grands arbres ne poussaient pas à cet endroit. Vois cettevégétation un peu plus clairsemée. Le dernier cocotier, fruit de ceux sûrement plantés par les vieux à Kalabus, a disparu il y a de cela quelques années[8] ».
Livani-qatr dort dans les îlots du Sud de Calédonie, à l’île Ouen. C’était l’époque où les îliens voyageaient encore sur des bateaux à voile. La mort l’a cueilli lors d’une croisière. Le bâtiment s’est alors approché des côtes et a jeté l’ancre. Les marins à bord sont descendus pour l’enterrer dans une parcelle de terre. Pour nous, c’est un peu comme dans un film mais n’oublions pas qu’il arrivait (et c’était courant) que le mort était enroulé dans son linceul et passé par-dessus bord. C’était une mode, excusez, pour les frères noirs africains dans le commerce triangulaire avec les Amériques. Toujours sur cette même terre ou bien à Goro ( ?), dort Hnacipan, frère de Mama Wamane (maman de Leo-qatr.) Il a été donné à nous à la maison (ceepi e Gaica) à cause de nos liens de sang et clanique. D’autres vibrations me viennent dans la mémoire comme des algues du fond de l’océan rejetées sur une plage. Wati-qatr Saipö et Keitrë[9] ne nous sont jamais revenus. Ils étaient partis ensemble sur la Monique[10]. Mon Dieu ! Nous reviendront-ils un jour ? Quelle éternité ? Eötr-qatr (Lawi) dort du côté de Boréaré à Houaïlou. Lorsque vous abordez le pont de Coula en arrivant de Karagreu (ou Bourail) il y a une piste qui rentre à droite. C’est la direction qu’il faut emprunter pour aller rendre visite à la poussière qui reste de lui. Il était pasteur là-bas entre les deux guerres (1923). Son épouse, Wasajë, elle est de Hmelek. Pour la petite histoire, il y a un vieux de Boréaré, Gowe Tchoé, j’ai des doutes sur l’orthographe. Tchoé en français voudrait dire, requin. C’est la traduction du nom du vieux à nous, Eötr. L’année 2019, Tchoé avait 96 ans, il était né en 1923 et neuf mois après sa naissance, sa maman partit dans l’autre monde. Le bébé fut confié aux deux pasteurs de Hunöj qui assuraient le service pastoral dans la vallée. Je ne le savais pas quand il était homme d’entretien là-bas à Nédivin quand j’enseignais dans le collège. Cette info m’a été remise par Jön Neköeng qui a rencontré le vieux en 2019. Personnellement, je prenais le vieux Tchoé comme originaire de la tribu de Gondé toujours dans la haute vallée de Houaïlou. Au tout début de cette année 2020, un groupe de musique de cette même vallée de la Houaïlou était venu à kolopi au terrain pendant la kermesse de l’Amicale de Huiwatrul. J’ai ramené après les musiciens à Luecila avec Qëmekë vers 1h30 du matin, alors qu’on s’apprêtait à fermer le site. J’ai présenté le groupe en donnant l’info que le vieux de Hunöj était enterré chez eux, sans savoir que j’allais avoir encore plus d’infos sur le même vieux. Hasard ? Concours de circonstances ? Allez, au dernier coup de fil d’échange avec une dame de Nessakoéa, elle me promit qu’elle allait me rappeler pour donner un taperas de chez eux qui parlait justement du vieil homme à nous, Lawi Eötr. Elle m’enverrait avec la traduction en français. J’attends. A Tchamba, Hnacipan-qatr a enterré ses deux filles jumelles (Utë & Tchuke.) Des prénoms de là-bas. C’est entre la cloche et la baraque pour attendre le culte à Eika. Il était aussi un pasteur, comme le vieux Lawi. Lui, c’était en 1904, qu’il assurait son service dans cette haute vallée. J’y vais assez régulièrement dans ce bout de pays pour les besoins de notre école. Je remercie Hélène Nateawe (mariée Nimbayes) de m’avoir donné ces informations. Mais ça, ce n’est pas un secret pour les gens de chez eux. Drumë Wapotro, un autre pasteur de chez nous. Il dort à Eika de la paroisse de Mou Lifou (oui, il y a aussi l’autre Mou à Ponérihouen). C’était en 1964 qu’il était parti. Il revenait de Hunöj où il avait rendu visite à Mama Wazana qui avait accouché de Wasa. C’est en se reposant dans la nuit que son âme s’est envolée. Dans la brochette de pasteurs, deux autres de la famille dorment dans deux contrées autres que Hnatro. Ixöe-qatr Katrawa (papa du vieux Gëz) avait été enterré à Drueulu où il exerçait sa vocation pastorale. L’autre pasteur, c’est Jooc Patel. Frère de Misa-qatr (papa de Qaeng-qatr, Patel-qatr…) Il se repose actuellement dans une tribu de Nengone. Wakone. A l’époque quand Siwen Hnasil enseignait à Hunöj, il rendait souvent visite à Lizi-qatr (l’épouse du défunt pasteur) Ils échangeaient en Nengone parce que la grand-mère parlait très bien la langue de là-bas. Mystère : Quand un fils Ngazo est allé jouer au foot à Nengone, il s’est vu offrir un panier d’ignames. L’inconnu disait qu’il était de la même famille que lui. C’était dans une tribu de Touho (Nengone, oui il y a aussi Touho en Calédonie.) Zyom, à l’époque du lycée disait qu’un camarade de classe connaissait dans sa tribu quelqu’un qui était du même nom que lui. Ngazo. Explication de Wotra : un vieux Ngazo, parti de chez nous pour Nengone, n’était jamais revenu. C’est probablement sa descendance. Les précisions sont entre les mains de la famille à nous de Drepo. Dans la vallée d’Amoa, tribu de Putchala Poindimié, repose le vieux Hnatu, grand-père des Hmej et d’une frange de la famille Hmaloko, papa de Zihnuë et de Mama Wasajë. Il était parti dans ce bout de pays avec tante Sanima, sa deuxième épouse. Elle était revenue toute seule. Année de départ, je l’ignore. En France, Medriko Thaiaw a été incinérée. Sa cendre a été ramenée au pays par la famille (par Hnai Walewen) après un détour à Kejëny (chez une autre fraction de la famille.) Medriko avait travaillé dans une librairie à Montparnasse. Elle était venue après au pays pour un court séjour. Je pense qu’elle avait travaillé à la bibliothèque universitaire avant de repartir. Elle ne supportait probablement pas la vie de chez nous. Elle avait pris sa retraite et a quitté ce bas monde pour d’autres cieux. La première citoyenne de la tribu de Hunöj à être incinérée, c’est elle. En France, vivent ses deux filles Béatrice et Anne-Marie ( ?) Chez Kasan & Caalo, juste devant leur maison bleue, il y a un avocatier et un croton[11] (c’était avant.) C’est sous le feuillage de ces arbres que Inane-qatr, Wadrö-qatr et toute la marmaille se prélassaient et appréciaient la fraîcheur des après-midi des temps chauds. Je ne leur ai pas dit qu’ils dormaient sur une tombe. Celle du petit frère de Mama Kaie (föi Pacue-qatr, Xodre.) Wilisen, il s’appelle. J’ouvre une parenthèse parce que j’ai aussi une pensée pour les nôtres que je qualifie d’esprits errants. Ils sont là confinés dans notre cerveau mais aussi quelque part avec nous et en nous. Ils nous assistent partout, ils nous gardent, ils sont dans nos forêts, on les voit dans nos rêves, ils nous parlent dans le vent, une jubilation, une oscillation d’une brindille de bois mort. Mais on les tue pour une deuxième mort dans la cacophonie, le brouhaha, le mauvais choix de nos musiques etc… On a peur d’eux. Entre Hnaköj et Watrapeng, il y a des anfractuosités. Les ossements sont dedans. Ils sont vieux de deux mille ans si ce n’est pas plus. Ils sont confinés dans nos mémoires. D’autres sont dans d’autres grottes aux quatre vents de la tribu. Je pense encore aux nouveaux-nés que nos filles (les jeunes mamans) étouffent entre les jambes pour expier la honte de leur geste. Je tais d’autres infos en ma possession pour ne pas faire mal à moi-même et à nous autres encore. « Que Dieu nous veuille absoudre. » Villon.
Question : Ailleurs : Nous avons des morts absents au cimetière de la tribu. Ils sont enterrés à Nouméa ou bien à la tribu. Je pense à H. et à son épouse. Question ouverte. Est-il bien d’enterrer son mort chez soi ? Ma réponse est NON. Nous ne vivons plus dans les hunapo[12]. Nous vivons dans une tribu avec des concessions, c’est-à-dire qu’on doit tenir compte de la vie communautaire. Une autre question s’impose, à quoi a servi le lègue de ce bout de terrain, Hnatro ? Pendant la mort de mon père en 1980, Utrane (ma grande sœur) est allée dire la dernière volonté de papa aux autorités coutumières : « A ma mort, vous me mettrez sous le fene ixöeë à Gaica (chez Drikone actuellement) pour que mes petits enfants viennent jouer sur ma tombe. » A l’époque, beaucoup de ses petits-enfants n’étaient pas nés. Pour répondre à ma sœur, Hmaloko-qatr (l’aîné des papa Hmaloko) a pleuré. Il a tiré des pièces pour demander pardon avant de dire que la décision de cette époque-là était d’enterrer tous les gens de Hunöj à kolojë. En sus, même lui en tant qu’ancien combattant de 39 & 45, il irait à Hnatro. Il faut aussi comprendre que la tribu est un espace de vie comme Hnatro est un espace réservé pour nos morts. Personnellement, je me vois mal construire ma case en plein milieu de Hnatro même s’ils sont des nôtres. Ça n’a pas de sens. Une aberration.
Bon week-end à vous de la vallée.
[1] Thaijö : Pour ceux et celles qui voudraient tester. Saisissez ce nom-là sur le Net et vous tombez en Australie. Thaijö ; thai=victime jö=soleil. En Australie, ils ont deux noms. Thaijö et Thaiday. Thai (toujours victime) day=jour. Ce sont les deux noms que l’ont retrouve chez nos familles aborigènes. Ils sont déjà venus ici, à Hunöj, Hmelek (d’où nous sommes originaires) mais nous ne sommes jamais allés chez eux, dans le détroit de Torres au nord de l’île continent. Thaijö-qatr était parti de chez nous avec le prénom Iamele. En Australie, il a changé de nom. Jimmy Lifou, ensuite Joshua. Pourquoi changer de nom ? Je ne sais pas. Sur sa tombe est écrit qu’il était né à Lifu, Loyalty island en 1820 et mort en 1923 à Orub. Je saurais après que le fait de changer tout le temps de noms durant son existence est une coutume dans toute l’Océanie. Cela se faisait au gré des naissances. La mère ou le père prénom le nom du nouvel arrivant. [2] On pourrait se promener sur les tombes de nos aïeuls. Dans cet extrait, je n’ai pas repris nos familles enterrées à Nouméa dans les différents cimetières de la capitale. [3] Une info qui nous est parvenue par une expo d’un docteur (Collin ?) qui avait exercé à Lifou dans les années 1800. Centre JMT l’année 2019 : « Le marin était originaire de Huiwatrul, il était tout plein de pustules et exhibait sa veste pour l’offrir comme présent à quelqu’un d’autre. C’était comme cela aussi que la maladie s’était propagée sur l’île et dans le pays. » C’est moi qui résume le commentaire de l’expo photos. [4] Une léproserie ouverte après la fermeture de Kalabus à Hunöj.[5] Il y avait aussi la léproserie de Nang à Cila dans le district de Wetr, c’était après Hnawetr. Nous avons aussi de la famille qui dort par là-bas. Suun, Iamele (sœur et frère de papa) Kaijagön (papa de Jenema et époux de tante Qabue) Y en a-t-il des autres familles de Hunöj ?[6] L’actuelle léproserie de Nouméa située dans la presqu’île de Tindu.[7] En Drehu, une variété de grand arbre qui pousse dans les forêts de l’île.[8] Extrait de Ponoz, cordon ombilical de HNACIPAN Léopold.[9] Keitrë, femme de Trawel Hnoija. [10] Nyiatrë Jeannette Kaqea devait aussi prendre le même bateau avec Keitrë et Wati pour se rendre à nouméa. Le vieux Leitre-qatr Cejo (son grand-père) n’a pas voulu la laisser partir.[11] Croton : soma en Drehu. On la plante sur une tombe comme la cordyline.[12] Tertres ou tertres funéraires.