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Bozu, bozu.

Je suis très heureux de ma journée d’hier (et des autres jours d’ailleurs, mais bon !) où je suis allé à la tribu de l’Embouchure pour rendre visite à Mme Dewe. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vue. J’ai failli rater la rentrée de la maison. Heureusement, un groupe de jeunes gens se trouvaient de l’autre côté de la route en face de la maison commune. Je me suis arrêté pour leur demander les renseignements. « Ah ! Je vous connais, je vous ai déjà vu à la télé. » Me lança le jeune homme en me montrant la route. Je suis resté quelques minutes avec elle, quoi ! Une vingtaine de minutes et c’est la route à nouveau. Aujourd’hui, je vous propose la parole du banian de chez les Fëmeigötr. 

Bonne lecture et bon weekend. Wws

Paroles de banian 

Jeudi 8 juin 2006 (4H20) Eika de Ponoz 

            La case de la cousine Nyiatrë n’est pas encore terminée. La pose de la couverture arrive seulement vers le hnë thipi tepolo. Et puis, il faut aller demander d’autres de paille chez les uns et les autres qui en ont dans leurs champs. Là où elle pousse dru. Hier, toute la compagnie a passé le reste du jour chez les Pöj. Nous avons plus ri qu’arraché. Ede qatr, Dra, Zorro et Trehle sont nos vieux. Ils étaient avec nous à se dépenser pour arracher et les plaisanteries étaient notre carbure. Fallait bien entretenir la morale de la troupe. J’étais haut perché. Dans les nuages. Heureux de fouler les terres de la tribu. Fier que mon corps se plante dans les champs de mes aïeuls. Au milieu de la famille avant de repartir à Voh pour le travail, je remuais discrètement les lèvres pour m’adresser à l’Invisible de l’endroit pour ces moments qu’on ne peut savourer qu’une fois. Ma joie ne me quitte pas. Elle colle à ma peau comme l’habit que je vêts. Sauf que ma joie va au plus profond pour me réchauffer. Tout de l’intérieur. 

            Hier, j’ai donné mon billet à Hnyela. Elle devait réserver ma place à l’agence d’Air-cal de Wé. Je ne connais pas où l’affaire en est en ce moment. Le doute ne me vient pas. Je ne m’inquiète pas pour mon billet et je ne sais pas pourquoi. La vie pourvoie toujours. Partirai-je après avoir couvert la case de la grande sœur ? Certainement. Le vrai est au-dessus de tout. Je bénis le ciel pour qu’il me vienne en aide. La rentrée scolaire : lundi. 

            Vendredi 9 juin 2006 (21H25) Eika de Ponoz

            Je viens d’arriver de Hnyamala avec Pasteur Belë où nous avons mangé la soupe. Le Dieu de nos aïeuls s’est encore manifesté. Il continue d’agir dans les secrets de nos vies. Je n’ai pas de place pour repartir sur Nouméa. A koië, certains de mes neveux se posaient aussi des questions à mon sujet. Ils s’inquiétaient pour moi. Les vols sont pleins jusqu’à mardi. De mon côté, la vie a toujours coulé sans heurt. Je ne m’inquiétais même pas. Je suis rempli d’une assurance, d’abord celle d’être sur mon île. Il est vrai que je me suis déjà habitué à passer ma vie en dehors de Lifou. Alors je continuais de rester à Hnyamala à donner la main aux neveux pour finir le chantier de la case. Jusqu’à la fin, je resterai. 

(…) Un moment, un des fils de la maison me surprit : « Oncle, tu as une place, il sourit en même temps, mais il faut rester pour terminer la maison de nos deux mamans (Ixoe et Nyiatrë. Leurs deux mamans de Fëmeigötr, sont mes deux sœurs par nos liens) L’esprit de la maison t’accompagne. » J’ouvris grand les yeux. Il se fit plus précis : « Le banian a des yeux et des oreilles. » tout en continuant sa besogne. Il grattait une gaulette qu’il maintenait ferme dans la main. Ce langage, je le connais. Lotip orienta mon regard en levant ses sourcils vers la petite forêt derrière la case en construction en faisant un coup de bouc. Geste qu’il gratifia d’un sourire. Derrière la maison, poussait un très grand banian plus que centenaire. Il étendait ses gigantesques troncs tentaculaires à plusieurs mètres à la ronde et en plongeant puissamment ses racines dans les entrailles de la terre. C’est l’habitat des Finiwan, premiers occupants des terres claniques de chez eux. Ils sont les petits diables du clan.  

… à mon réveil, je retournais à Koië pour manger les grattons que Saipö a cuisinés la veille. Et au retour chez Drikone, je prévins Kiri d’aller m’informer à Eika si Hnyela revenait de Wé. Hnyefe s’était mise en deux pour me trouver une place. Fini le tour de Willy. Je sentis la fatigue me gagner. Une fatigue physique à cause des veillées à Koië et psy, la mauvaise tendance venait à pas de loup. Je m’endormis aussitôt sur mon matelas, de l’autre côté du foyer. Même que Iloie, le neveu, mari de Hélène m’avait vu. Il était passé à Eika pour voir Pasteur. 

Vers une heure, Kiri arriva et me réveilla. « Papa Wawes, voilà ton billet. Hnyela a dit qu’il n’y a plus de place jusqu’à mardi. Mieux vaut aller voir sur place. » Je pris le temps de me réveiller et de bien me rendre compte de ma situation qui devenait alarmante. Je pris le billet que ma nièce me tendait. Elle se rendait bien compte de mon abattement qui gagnait peu à peu. Je relevai un pan de la natte sur laquelle je dormais pour glisser le billet dessous et je me remis à dormir en tirant vers l’autre partie de la journée. 

Mon réveil fut brutal. Pasteur était debout à la porte. Il voulait que je l’amène à sa réunion à Hnaeu. Je me levai de ma couche en reprenant le billet. Je me préparais et on partit. Il pleuvait fort sur la route. « Grand bien qu’il pleuve maintenant que nous avions fini le chantier. » fit-il, en remontant très haut la vitre de sa portière. J’enjoignis la promesse du neveu dans notre discussion au sujet de la ‘parole’ du banian. « Mais tu sais Wws, ces êtres invisibles-là, sont toujours avec nous. Ils se manifestent au besoin. D’extrêmes nécessités… » Foi de pasteur, j’acquiesçai en me concentrant toujours plus sur ma conduite. J’évitais même des nids de poule imaginaires sur la chaussée. 

            A Wé, devant l’agence, il n’y avait plus la foule des grands jours. Je rentrai. La guichetière qui me connaissait, affichait le sourire. « Bonjour M. Hnacipan, vous voulez une place pour quand ? » me demanda-t-elle. « Demain, si c’est possible » lui répondis-je. 

- la matinée ou dans l’après-midi ?

- pourquoi, vous avez de la place ? 

- Ben oui. Aujourd’hui, demain et toujours. (Je tiquai et cela ne lui a pas échappé. Elle ria très fort que la dame de l’autre guichet se retourna.) Oui, M. Hnacipan ; y a de la place pour vous. Mais restez encore quelques jours avec nous. Vous autres, êtes toujours pressés de repartir. 

- T’arrêtes. Je reprends les cours lundi. Je voudrai bien partir demain matin, s’il te plait.

- Dans le vol de 10H, je te confirme. Mais il y a aussi de la place dans le dernier vol de ce soir. (Elle attendit un instant pour me laisser réagir avant de pianoter son clavier)

Quelques temps après, elle me tendit mon titre de transport en me souriant. Je sortis de l’agence tout radieux. Je lançai même des remerciements à Oncle Taïn qui, du bureau annexe me donna tout en riant des nouvelles du dernier mariage de Kumo. Chez les oncles de ma mère où, avec Lönë, nous avions préparé la soupe le vendredi, une semaine plutôt.

            Avant de repartir et reprendre Pasteur au lieu de sa réunion, je remerciai le grand banian du neveu et de son clan en levant les yeux au ciel. L’impossible n’existe pas ou alors rêveusement il attend … pour un autre défi. 

Mais ça ?... 

Publié dans Culture Kanak

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