Le numéro 72 de Nuelasin est disponible et en téléchargement dans cet article.
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Le plus de la rédaction :
Je pense à Ginette Arhou. Elle est de Koumac. Elle est partie dans l’autre monde, (voila plus de je ne sais plus combien de temps.) C’est quand même dur de perdre une relation, c’était aussi à elle que j’envoyais mes textes pour corriger. Un soir, elle m’a invité pour conter autour d’un feu à la tribu de Gatope. J’ai accepté. C’est le texte ci-dessous que j’ai lu.
Pendant le tournage d’un film (reportage sur une sœur poétesse, Imassango) nous sommes allés nous recueillir sur la tombe de Ginette à l’entrée du village de Koumac. A quelques mètres du bord de la route, Ginette se reposait dans le cimetière plutôt familial. La poétesse parlait mais je ne l’entendais pas. Je me tenais assez distant de ce lieu de rendez-vous. Je saisissais seulement quelques paroles, des bribes, entre les bruits de moteur des voitures qui roulaient à vive allure. Les usagers ne voyaient pas la résipiscence de l’évènement. Moi, je me suis éloigné encore plus en remontant dans ma voiture. Les paroles s’envolaient alors dans le vent, d’autres mourraient là sur l’herbe folle qui poussait dessus la tombe. Ginette à travers cette verdure nous suivait sûrement.
Nuelasin 72 est un mélange de ce qui a été amorcé l’année dernière et celle de 2022. Je souhaite à vous une bonne lecture et à vendredi prochain. Wws
Cette nuit, Piliwe sortit de sa réserve et agressa Mazalujë. Sa force enroula d’une main sa tignasse et dans l’autre un gourdin qu’il avait arraché du jardin. Il était à deux doigts de la tuer. Excédé de jalousie. Mazalujë ne broncha même pas. Elle était sur ses genoux, elle pleurait parce que son mari l’avait traînée hors de la maison. Chez eux. Sa femme, plein de larmes dans le regard allait se laisser mourir. Elle lui dit alors en levant les yeux: « Fais-le ! » Elle laissa couler quelques temps pour bien marquer sa sincérité. Elle ne se débattit même pas. Elle était accroupie sur le sol. Mais il n’y eut rien. Alors, elle rompit le silence. Elle sortit les paroles des promesses qu’elle avait faites à Piliwe. « On s’était marié Piliwe mais tu connaissais la vie que je menais. Pour rien au monde, je ne l’abandonnerai. J’ai même juré sur la tête de l’oncle de nos enfants, Inegit. Et tu le sais, c’était à toi que j’ai dit même que tu étais avec Gérald ta putain de caporal de compagnie et tu étais d’accord sinon on ne se mariait pas. Maintenant, tu vois Wazika, Cilako et Dralue, ils sont bien de toi. Tu étais allé même à m’obliger de faire ce fichu test d’ADN. Ma parole ne te suffisait pas pour dire que nos enfants sont bien de toi. Ne me prends pas pour la tige de roseau creuse à laquelle ta mère aime assimiler les femmes infécondes. Tes frères n’ont pas de gosses, tes sœurs non plus. Des puits à sec. Et, maintenant que me veux-tu ? Ma mort ? Tue-moi, ma vie je te l’ai déjà donnée. Ma mort aussi. Je suis devenue morte à l’instant où tes sœurs sont venues me détacher et m’arracher à mon clan[1], à l’heure même où les cloches ont sonné[2] pour moi, chez toi. Dans ton église. » Le gourdin tomba de la main du justicier. Juste à côté de Mazalujë. Tous deux le fixaient. Un cœur de gaïac noir. Lourd. Piliwe était aussi lourd que noir de jalousie. Comme son gaïac. Amorphe, anéanti, il n’était plus un homme.
Extrait de la nouvelle : Sous la fumée de Vavouto du recueil De séduction en séduction de Léopold Hnacipan
[1] Ils sont venus m’arracher à mon clan : évoque la coutume des Calédonie selon laquelle les sœurs de l’époux allaient détacher l’épouse et l’amener avec elles dans leur clan.
[2] Les cloches ont sonné : pour célébrer le mariage. La religion a une très grande place dans le quotidien de la tribu.