Le numéro 75 de Nuelasin est disponible et en téléchargement dans cet article.

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

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Le plus de la rédaction :

Bozu.

C’est la dernière semaine avant la rentrée. Tristesse pour certains et joie pour d’autres. Ces vacances ont été vraiment un peu spéciales pour nous tous pour raison de la covid avec en sus la variante qui n’allège pas la masse d’énergie pour trouver le remède pour. À chacun son poison comme chantait Réglyss. Personnellement, cette année me sonne à l’oreille comme déjà un départ. La retraite ce n’est plus pour longtemps. Je sais que je ne vais pas arrêter d’écrire, mais je pense fort au devenir de Nuelasin. Cela tombe bien de toutes les façons parce qu’il (Nuelasin) signifie, laisser pour la postérité. Je sais qu’il y aura quelqu’un de la génération future qui prendra la relève. Si le cœur seulement lui parle. 

Il pleut toujours et la chaleur n’arrange rien à nos journées. Un autre phénomène. Les mouches. Nous avons bon lavé les parterres et les murs, rien n’y fait. Elles sont toujours là et d’autres arrivent d’on ne sait. Elles foncent droit dans l’œil ouvert ou fermé. Ça empêche de dormir. On ne peut même pas se couvrir le visage avec la chaleur. Señorita.

J’ai déjà publié cet écrit (l’article Souvenir de Fiji) pour accompagner le numéro 52 du 20 mai 2021. Je voulais seulement que ce texte figure dans le journal pour partager la vie de nos pays frères et surtout que nous sommes en pleine rentrée des classes où nous devons penser aux inscriptions de la descendance. Voilà pourquoi. Y a aussi d’autres textes que je ferai revenir dans le petit journal comme les écrits de Saipö Jim, Tonton Kaudre et le défunt frère David. Je l’ai déjà fait pour JC Ukeiwe. Ainsi va Nuelasin. 

J’écris la suite de Nouméa. Hier jeudi, je rentrais dans la voiture en descendant de chez mon frère à Nouville et et et … sur le tableau de bord, le thermomètre affichait 42°c. Il est vrai que la voiture était fermée, oui mais j’ai laissé quand même une ouverture. Mon Dieu, cela me rappelle mes années de jeunesse dans la ville de Grenoble où les étés sont vraiment très rudes. 

Le texte qui suit est un écrit extrait d’une nouvelle qui me reste sous les coudes. Je traitais les disparitions à Drehu. Chose mystérieuse. Dans la forêt, dans la mer et on ne sait. Cette intro vous permet de comprendre la conclusion pourquoi les gens de Hunöj ne sont pas sollicités pour les recherches des disparus en mer. 

Bonne lecture et bon weekend.Wws 

 Partir 

Un soir, avant de dîner entre hommes, Simelem reçut un coup de fil de Waisoma sur le portable de son cousin. Il parut très gêné lorsque Thailue lui tendit le mob : « Waisoma ! » C’était juste pour lui demander s’il allait bien. Cela le perturba énormément mais le sommeil lui apporta le grand soulagement. Au milieu de la nuit, son rêve le fit prendre une douche. Une deuxième. Simelem était tout mouillé. Il avait rêvé de Waisoma. Il était passé à l’acte. Il mit naturellement sur le compte de la moiteur au cas où Thailue s’amuserait à lui faire une remarque sur cette agitation nocturne. Quelque part, il n’aurait pas tout à fait tort en ces temps de période cyclonique. Le lendemain, la journée coula douce. Il ne s’était pas levé. Il était resté allongé en faisant sans cesse revenir son rêve. Simelem était dans un petit nuage et pour lui, toute la réalité concrète allait s’accélérer. 

« Mon frère, pour ce soir t’as une idée ? Ça te dit de venir en ville ? Le coup d’un petit cinoche ? Allez, je t’attends à la place des cocotiers. » Silence. Simelem savait qu’il n’avait rien à dire non plus sinon de se laisser vivre. Vers la tombée de la nuit, changement de programme. Un taxi attendait Simelem dans le parking. Il fut surpris lorsqu’une voix le héla de très loin. Un temps d’arrêt comme une marque d’hésitation et il alla à la rencontre de l’homme qu’il reconnut tout de suite. Thailue debout à côté de la voiture l’invita à prendre place sur le siège arrière. Il n’était pas seul. La dame recula pour lui créer plus d’espace. « Waisoma ! » : s’écria-t-il. « Non, je suis sa petite sœur ; Sesëhnie. Waisoma m’a parlé de vous. » Reprit la dame dans une voix très douce. Simelem déduisit inéluctablement la raison de cette présence. Elle et lui. La promise était venue. Waisoma, Sesëhnie, le rêve de la nuit précédente. Simelem parut très gêné du service complet. « La vie n’est pas avare, un bienfait est toujours rendu au centuple. » N’est-ce pas ? Le leitmotiv de fin de discours revenait. Le cœur était à ses tempes et il pouvait compter ses battements. Les sentiments qu’il éprouvait devant les époux Thailue arrivaient au grand galop. Il avait du mal à donner de l’allure pour honorer le choix de sa belle-sœur. Pensait-il. Il était gauche. Ce n’était pas non plus dans ses habitudes. Si Thailue n’était pas là ! Il n’y aurait pas eu de bouleversement dans sa vie. « Trop choc ! » disaient les jeunes. Pendant tout le trajet, la conversation tournait entre le conducteur et Thailue. Le conducteur était arrivé sur le territoire voilà deux ans et comme par hasard chez tous les nouveaux-arrivants, il était lui aussi intéressé par la coutume et la culture kanak. La fête de l’igname était au cœur des discussions. De temps à autre, la parole allait vers les sièges arrière.  Et Simelem se gênait encore plus d’entendre son cousin faire appel à lui pour des explications au sujet de la chefferie Boula et de la fête de l’igname. Autant Sesëhnie, autant Simelem était muré dans une chape de plomb. Leur silence n’avait pas la même raison. A vrai dire, la demoiselle était plus à ses aises. Elle avait déjà toutes les billes en main. Elle était en plus d’accord pour convoler en justes noces. 

Après le dîner, et le cinéma Simelem accepta la proposition de son cousin. Sesëhnie avait déjà été bien rassurée. L’affaire était vite conclue. Les tourtereaux allaient passer la nuit sur la même branche, c’était leur nuit de noce avant l’heure. Ils rentrèrent.

« Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Ehaé ! » C’était la voix de Waisoma qui réveillait sa sœur. Elle savait qu’ils étaient chez son mari. « Alors, Simelem… il t’a montré comment sont les gens de Hunöj ? » Sesëhnie souriait en jetant un coup d’œil vers son futur époux. Elle lui fit une tape amicale sur la poitrine. Le mode plein volume était enclenché. Ils écoutaient ensemble cette voix à la fois si lointaine et si proche. « Euh… ma sœur, je t’appelais parce que je n’ai pas bien dormi. J’étais dans un mauvais rêve. Et surtout que j’ai passé le reste de la nuit à chercher à lui donner un sens. Inutile !»

-         Mais si ça se trouve, ça n’a pas de sens…

-         Un rêve a un sens. Maman le disait mais il est toujours difficile de trouver la bonne lecture.

-         Commence par tirer le bon bout. Venons-en !

-      Ipo, la grande fille de Oncle Watroie, était assise sur une plage. Elle s’amusait à creuser un grand trou et dans le grand trou on dirait qu’elle allait pour jeter une caisse à l’intérieur de laquelle, il y avait des petits pieds et des petites mains qui sortaient de chaque extrémité. Ils s’agitaient.  

-       Elle a avorté. Sûr !

-       Peut-être ! Je ne sais pas, mais cela me stresse. Je sais que j’vais pas être bien de la journée. 

-      Oh ! Toi. Avec tes grands airs de diseuse de bonne aventure. Tu vas finir par faire venir des nuages sur ce beau soleil. Mais si ça se trouve, euh… t’es en voie de famille. A moins que ton mari ait dormi chez Simelem. Hahaha ! Attends Mass[1]. Maman disait aussi que des fois, faut comprendre le contraire de ce que la nuit a révélé. 

-     C’est vrai. Je me rappelle. Cela me console plutôt. En plus, j’ai eu le réflexe de retourner spontanément mon oreiller. Bonne journée et bisou à Simelem. Hé, tu n’oublies pas de faire aussi la bise à mon mari. Aouh tout seul ! Lui ! Pas dire ! »

Quelques temps après l’échange, la voix de Thailue résonna de la cuisine. Il appelait Simelem et Sesëhnie pour le petit-déjeuner. Il avait pris soin d’aller acheter des croissants et des pains au chocolat. « C’est pour que vous puissiez vite vous remettre d’aplomb ! » Avec un sourire à la commissure des lèvres. La réponse ne se fit pas attendre. C’était sa belle-sœur : « Föixa[2] ! » gratifié de trois coups de mains cadencés, une explosion de joie qui allait lancer la journée. Tous les trois rirent et passèrent à table. Simelem ce jour-là, n’eut pas droit à sa grâce matinée quotidienne. 

« Mon grand frère, ce geste est un signe de respect et de remerciement à toi pour la maison et à Waisoma. Je ne connaissais pas les arrangements que vous avez montés. C’était votre part pour l’édification de ma personne au regard de notre famille mais aussi de notre clan. Papa, il est vrai qu’il a vu le soleil avant ton père. Papa Trenamo vient aussi de nous quitter. Nos vieux partent au compte-goutte. Qui sait demain ? Je te remets ce tissu et ce billet pour avaliser la pensée de Waisoma, la femme à nous deux. Dire que j’accepte la pensée de prendre sa sœur pour épouse. Et je lui promets d’être fidèle toute ma vie. Ma parole, c’est à toi que j’ai donnée. Oleti. » Avant de prendre le geste devant lui, Thailue disparut dans sa chambre et revint avec une coutume. Il leva le tissu et le billet sur la table et remercia Simelem. Il disait que Waisoma était très heureuse de savoir qu’ils étaient chez elle dans son appartement à St-Quentin. Il rajouta que la suite se déroulerait sur Lifou pour annoncer aux oncles maternels et la famille. Plus tôt serait le mieux au regard du calendrier des activités de la tribu.      

***

Lorsque le bateau eut disparu à l’horizon, Simelem partit voir Iamele, un frère du même clan qui travaillait au port de Nouville dans une société de lamanage. Juste pour un café disait-il en compagnie d’autres cousins de la tribu. Ils échangèrent et la nouvelle prit la mer comme voguait une épave au fil de l’eau, au gré des vents et marées. Simelem allait se marier à Sesëhnie la petite sœur de Waisoma. Quelle actualité ! Elle allait arriver à Hunöj avant tout le monde. Vers le soir, malgré la proposition d’un autre frère pour le ramener, il appela le taxi n°) 217 de sa rencontre. 

Désormais il était vraiment seul. Sa nuit serait très longue. Sesëhnie et Thailue avec quelques autres personnes bénéficiant d’un voyage aller/retour d’un ami marin pêcheur qui allait récupérer une cargaison pour Tiga, partirent. Simelem allait seulement les rejoindre le lendemain par le vol régulier de la compagnie aérienne. Il allait d’abord s’inscrire aux bureaux des embauches pour une recherche d’emploi éventuel. 

A son arrivée à Wanaham, Waisoma était-là et tout le monde les félicitait. « Où est-elle la future épouse ? C’est pour quand ? Quand est-ce qu’on va monter à table ? » Toutes les questions s’entrechoquaient dans sa tête. Par moment, c’était le visage de Sesëhnie qui revenait ou plutôt les visages se confondaient. Tantôt l’un, tantôt l’autre. Peut-importe. Simelem ne faisait plus de différence entre les deux sœurs. Il les aimait kif-kif. 

Au wharf de Wé, ils ne trouvèrent que les pêcheurs de maquereaux et le lamaneur de l’île qui comptait ses cent pas sur les quais. « Et le bateau pour Tiga, est-il arrivé ? » : C’était Nyipitim le petit frère de Thailue. « Normalement dans la journée, mais là… oh ! Il ne devrait pas tarder. Sinon dans la nuit et même bien tard. Ça arrive. Je vous laisse mes coordonnées ? » Reprit le monsieur d’une démarche très dégagée et rassurante de chez les professionnels. « Ce n’est pas nécessaire. On reviendra. » Reprit Nyipitim. Ils partirent.  Le bateau du marin pêcheur ne fut jamais à quai. 

-   « Vous parliez de La Monique[3] ? » s’interrogeait-on déjà dans les premières communications radiophoniques. 

Les recherches furent aussi lancées comme pour toutes les disparitions, mais aux gens de Hunöj la problématique était tout autre. Ils ne furent pas sollicités. Simelem et Waisoma ne sortirent pas de la maison.

Ils vécurent ensemble à l’idée que ni l’océan ni même la grande forêt ne leur rendraient pour jamais ceux et celles qu’ils ont aimés de leur vie.

  1. [1] Ma sœur.
  2. [2] Relation incestueuse entre un frère et une sœur. Ici, une marque interjective voire affective.
  3. [3] La Monique est construite en 1946 en Nouvelle-Zélande pour l'US Navy. Il a disparu dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1953 entre Tadine (Maré) et Nouméa. Le bateau, ou une épave, n'est jamais retrouvé. Il y avait à bord 108 passagers et 18 hommes d'équipage. Wikipédia.

Publié dans Culture Kanak

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