Le numéro 79 de Nuelasin est disponible et en téléchargement dans cet article.

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

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Le plus de la rédaction :

Bozusë ;

Misère humaine : Samedi dans la matinée, on allait faire nos courses dans une grande surface à Koné. Passa devant la voiture un être aux habits enguenillés. Il marchait nus pieds avec toute la tête enturbannée. Il a dû me remarquer pour relever la veste plus haut et se cacher ainsi le visage. J’attendais qu’il traverse le passage piéton pour repartir. Une fois sur le trottoir d’en face, il accéléra un peu plus ses pas. Vers où allait-il ? 

Je continuai mon chemin. Après les courses, sur la route du retour, Elisa me dit: « Tu connais le jeunot qui est passé devant nous tout à l’heure ? » Je répondis non. « Ben, c’est Tein*. » Je me tus à nouveau. Ma pensée s’empreignit fortement de l’image du jeunot. Un fils de la vallée qui avait toujours affaire à la gendarmerie, pour vols, voyeurisme et autres petits délits. Je me dis seulement qu’il a franchi un cap. Sortir. Non pour découvrir le monde au delà des crêtes montagneuses mais pour s’exposer et se voir. Tein était déjà de la flopée de jeunes jetés sur la route entre Voh et Koné. Le plus loin, où il irait, me disais-je, c’est la capitale. Je suis même sûr que je le verrais à la baie de la Moselle tourner entre les roulottes pour quémander quelques pièces d’argent pour s’acheter un pain pour se mettre sous la dent. 

Poutine: Quel gros ‘dégueulasse’ ! C’était le mot exclamatif d’une relation que j’ai appelée le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Aujourd’hui c’est dimanche et je n’ai même pas suivi les infos. Le jeu des alliances est déjà mis en place. Le temps de penser aux réfugiés sur les routes mais aussi les pays frontaliers qui les accueillent… pff! « Quelle connerie la guerre ! » Écrivait Prévert. 

Le petit chat est mort: Dimanche soir, il pleuvait et en revenant à la maison, comme à son habitude, la chatte venait s’abriter sous la voiture mais au lieu d’attendre que le moteur soit coupé,… résultat: les deux roues des deux tonnes et demi lui sont passées dessus. Écrabouillée. Je descendis, le temps du recueillement pour après attraper une pelle et la ramasser. Je suis resté quelques temps silencieux. Les images des morts d’Ukraine et de Russie  défilaient dans mon crâne. Après, plus rien. C’était déjà la nuit avancée. Le coassement des grenouilles, le chant des grillons qui recouvraient toute la vallée et le silence nous mettaient tous en phase avec nous-mêmes. Lundi, j’avais cours avec les deux classes de 5ème. Deux heures chacune. Je m’endormis… 

Littera Mahoi: C’est Chantal Spitz qui dirige cette revue littéraire de l’archipel frère polynésien. 2021, elle m’avait demandé des écrits et je lui avais envoyé deux textes de deux lecteurs de Nuelasin. Un neveu de Hunöj (Jim Saipo et hmihmi Kaudre.) Lundi, je reçois un mail du tonton pour dire qu’il a reçu un exemplaire de Littera Mahoi envoyé par Chantal aux bons soins de notre Edou national. À mon tour de remercier Chantal par le biais de Nuelasin.

Bonne lecture à vous tous de la vallée.

Wws 

Quand Mamako ouvrit la porte, elle fut surprise de se trouver nez-à-nez avec des rats qui se débandèrent à sa vue. Elle resta figée devant la porte en vieille tôle ondulée avant de pénétrer la pièce. Le temps de s’accommoder à la sombreur, elle vit sur le sol un amoncellement de fruits d’igname et des petits tubercules relégués. C’était ce que son mari avait ‘rangé’ là, comme il disait. D’autres, par manque de lumière dépérissaient. Il y en avait bien plus de cinq cent pièces. Un autre champ. A ce spectacle, Mamako manqua de s’étouffer. Elle allait pleurer, l’igname c’était sa vie. Une vibration intergénérationnelle inexplicable. Elle sentit la chose monter vers elle. Elle s’efforça de se contrôler comme elle seule connait. L’asthme ne vint pas. Elle tendit sa main vers le fumoir, il n’y avait plus que le moignon. C’était ce que les rats et les autres petites bêtes ténébreuses avaient laissé. Elle s’immobilisa. Dehors, la pluie avait cessé quelque peu. Des gouttes d’eau tambourinaient encore la vaisselle laissée en dessous le pandanus derrière la cabane. Opaqagö ne vit même pas son épouse sortir de l’abri avec son couteau, les fruits d’igname et des petits tubercules soigneusement enroulés dans sa robe. La parcelle laissée par Opaqagö, quoi ! Dix mètres par cinq seulement. Elle espérait sauver quelques semis pour les nouvelles semailles. Il faut avoir foi en la terre nourricière. La dame s’agenouilla écarta la mousse de la surface et piqua vers le fond avec la pointe de son couteau, et d’un mouvement brusque vers un côté elle ouvrait la terre pour enfoncer sa semence. Cet exercice qu’elle répétait lui procurait un plaisir immense. Elle en jouissait même. 

Quand Opaqagö eut terminé le travail pour lequel il avait demandé à Mamako de l’attendre, il partit la rejoindre et que grande ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit son épouse en pleine labeur. Elle ne l’avait même pas entendu arriver. Quand il était rentré dans la cabane, son épouse n’y était pas. Il constatait seulement que du tas de fruits d’igname et de petits tubercules, il ne restait que les fruits et les petits tubercules secs et pourris, bons à être jetés pour nourriture à la terre et aux éléments. Mamako était assise à même le sol. Toute mouillée et haletante. Elle plantait et nettoyait en même temps l’endroit en arrachant les herbes folles qui avaient poussé depuis les dernières semailles. La parcelle avait été laissée en friche. Le feu avait brulé plus que nécessaire du précédent champ d’homme que le couple avait prévu pour les coutumes de la nouvelle année. La terre était restée dans la noirceur du brûlis. Des tu et des kacatr ont pris possession de l’endroit. Les tu, c’étaient les herbes sauvages desquelles son mari et elle, venaient cueillir les cœurs pour cuisiner dans du jus de coco et donner à leur fille Cadran quand elle était sortie de la maternité. Elle allaitait l’autre petit-fils, celui à qui elle a donné le prénom de son grand-père, Opaqagö. Ces feuilles donnaient beaucoup de lait aux mamans, rendaient les enfants vigoureux dans leur croissance et les femmes encore plus fécondes pour une nouvelle maternité.   

Publié dans Culture Kanak

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