Le numéro 81 de Nuelasin est disponible et en téléchargement dans cet article.

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

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Le plus de la rédaction :

Bozusë, je vous propose une suite au texte de vendredi dernier. Bonne lecture à vous de la vallée. Wws 

Il cria pour rameuter la troupe et envoya des messages sur le portable de quelques uns. Pendant ce temps, Lepexenyë et Opatrë trouvèrent l’aide de quelques autres jeunes pour sortir les poches d’excréments d’hirondelle et de chauve-souris vers l’entrée d’une grotte. Quoi ! L’équivalent d’une centaine de mille et même plus. Ils les ont retirés de l’intérieur des galeries souterraines. Il y en avait tellement que les excréments en s’entassant devinrent presque des stalagmites. Des colonnes entières. Les deux hommes, depuis qu’ils avaient trouvé la bonne veine envoyaient régulièrement leurs épouses pour vendre les poches de fiente à cinq cents francs au marché de Wé. Les jardinières de l’île amatrices de belles fleurs n’hésitaient jamais à mettre la main à la poche, et demandaient toujours aux deux dames si leurs époux en avaient encore en réserve. Comme les deux hommes ne disaient jamais rien, leurs épouses ne donnaient pas de réponses sûres. Elles repartaient seulement les mains vides du marché et leurs portefeuilles gonflés à craquer. Leurs poches d’excréments d’oiseaux partaient comme des choux des Îles. 

Au lieu du ralliement, le monde arrivait au compte goutte. L'hélicoptère de l'armée s’était posé non loin de la voiture. Wapata prit la parole pour dire que ce n'était plus la peine de rentrer à nouveau dans la forêt mais qu'ils allaient attendre là. Quand midi sonna toutes les montres, Drikone et Amekötine se regardèrent en espérant que quelque chose allait se produire mais rien ne se passa. Mr Blanc ne sortit même pas de la grande forêt comme l'avait prédit le sorcier. Les gendarmes s'impatientaient et allaient donner l'ordre aux pilotes de re-décoller. Wapata demanda un instant pour s'entretenir avec tous les volontaires engagés aux recherches. Il s’avança et révéla la requête que le petit chef et lui sont allés porter dans la tribu voisine. Tout le monde se taisait. Le chef de la brigade de Wé mâchouillait des fétus de paille qu'il avait arrachés à portée de main. L'autre monsieur de la brigade n'arrêtait pas de consulter sa montre. Le puma de l'armée allait décoller d'un moment à un autre.

Que ne fut pas le parfait étonnement lorsque Qanamaca, un des jeunes de la tribu, muet comme une tombe, s'avança au milieu du demi cercle pour dire que Amekötine et Wapata s'étaient trompés d'endroit. Le grand silence. Pas de paroles introductives. Incisif. Il lâcha: "Voyez qu’il n'y a ni sapin, ni banian ici, regardez la voiture, les clés ne sont pas dessus comme vous le dites. Je connais l'endroit. C'est par là-bas vers Hnaköj. La voiture, ce n’en est pas une. Le sorcier parlait plutôt d’une grotte, les vieux de notre clan à travers cette cavité, sillonnaient l'Océanie. Ils partaient de l’endroit même. Ils y entraient et fermaient les yeux en murmurant des paroles que eux seuls connaissaient. C’était alors qu’ils se retrouvaient projetés à des centaines de kilomètres à la ronde. Diverses destinations. Ils allaient à Kiamu, à Tanna mais aussi dans les îlots du Nord de Calédonie. Ils volaient les femmes de ces terres lointaines..." Amekötine en voyant le jeune dérouler le récit comme son arbre généalogique, le coupa nette, il voyait bien que les militaires s'impatientaient. Ils n'arrêtaient pas de zieuter le chef de la gendarmerie de Wé. La tension était palpable. "Soit. Je vais faire repartir l'hélico, mais mon collègue et moi restons pour poursuivre les recherches avec vous. Personnellement, je veux bien prendre un temps avec le jeune homme. Je crois ses dires. Il faut qu'il vienne avec nous et qu'il nous montre la grotte."

Ces choses-là, l'ont toujours intéressées. Ils partirent, la voiture de la gendarmerie devant, suivie de celle de Wapata et de Amekötine. Le reste des jeunes arrivait avec quelques voitures mais le gros de la troupe marchait. Lorsque la voiture de tête arriva dans une sorte de clairière, Qanamaca fit signe au conducteur de s'arrêter. Tous les occupants des voitures mirent pied à terre. Wapata fit la mimique à Amekötine d’allumer un petit feu avec des brindilles de bois morts. Il ramollit les cœurs de hmacatresi après quoi il ouvrit la marche vers l'entrée de la grotte. Lorsque le silence fut total, il appela Mr Blanc par le nom que lui avait donné l’oracle. Il n'y avait pas de craquement de branche ni de chant d’oiseaux. La tension était à son comble. "Atr" avait-il jeté à la Nature entière qui l'écoutait. Et la voix répondit. Tous se regardèrent avec les yeux grands ouverts. Mais personne ne savait de quel côté la voix venait. Elle ne venait certes pas des noirceurs de la grotte mais des voitures garées en arrière sur le bas côté. Amekötine se fâcha et cria aux jeunes qui étaient restés en arrière d’être plus sérieux et de ne pas jouer avec les choses de cette vie-là. Une voix répondit que personne n'avait répondu. Machinalement, Wapata fit un demi tour sec en disant aux autres de l'attendre. Il n'était pas encore arrivé aux voitures qu'il vit Mr Blanc, debout sous le sapin. L’air perdu. 

Il attendait.

Qui ?

Personne autour de lui. 

Wapata s’avança droit en se gardant d’être au dessus de ses émotions. Il lui flanqua une, deux puis trois coups au visage avec les cœurs de hmacatresi. Mr Blanc sursauta comme s'il sortait d'un grand sommeil. Il se frotta les sourcils pour s'accommoder la vue. Wapata devait être dans la brume pour lui. Ils se serrèrent la main et se congratulèrent. Le monsieur reprit Drikone pour dire qu'il s'était seulement égaré : "Heureusement pour moi qu'une dame m'a indiqué le chemin pour arriver jusqu'à vous, mais tout à l'heure, j'ai dû aider des jeunes pour sortir leurs paquets d'excréments d'oiseaux de la grotte. Je leur parlais mais ils ne me répondaient pas. Je suis alors reparti rejoindre les deux femmes qui préparaient à manger pour nous. Elles disaient qu'à midi, on allait manger les ignames qu'elles avaient brûlées. J'allais partager leur repas, au fait, elles n’avaient cuisiné que pour elles seules. Deux ignames dans la cendre, deux cocos verts, deux fruits qui étaient des pommes, on dirait. A voir de plus près, on aurait dit des fruits de faux manguier, enfin je ne sais pas." Quand le reste du groupe fut arrivé, Wapata et Mr Blanc était déjà en grande discussion. Mr Blanc remercia le brigadier chef de la gendarmerie de Wé de répondre à son texto en venant le chercher. Il conversait normalement comme s'il n'avait pas passé deux nuits dans la forêt. Il ne s'étonnait pas d'entendre l'hélico survoler la zone, il disait qu'avec les deux dames, ils écoutaient les conversations dans de la cabine : "RAS, RAS, aucun signalement, on va se poser près de la voiture..." Le gendarme qui lui posait des questions ne semblait guère étonné. Il disait seulement qu’il avait déjà eu affaire à des situations similaires. Il a déjà lu des rapports de gendarmerie qui allaient dans le même sens. Quelques temps après, Mr Blanc fut invité à monter dans le camion des pompiers venu sur place. Il était question de la santé du revenant dont il fallait s’en occuper en priorité. Mr Blanc répondit qu'il allait très bien et que ce n'était pas nécessaire de l'emmener à l'hôpital de Wé ou alors qu'il se rendrait de lui-même. Le brigadier chef le reprit d’aller sur le champ et le pria de monter dans le camion de secours. Sa voiture suivrait avec l'autre gendarme. 

Ce qui fut fait. 

Le cas de ce professeur n'est pas isolé. Lifou en est habitué. L’île a déjà vécu d’autres circonstances analogues. Et comment !

Avant la disparition de Mr Blanc dans la grande forêt de Hunöj, les cœurs des gens de l’île se sont battus très fort pour d’autres personnes de la famille qui n’étaient des fois jamais revenues. La même rengaine. La population et surtout la jeunesse avaient toujours été mises à contribution dans les équipes de recherche. 

En l'espace de trois ans, plus de cinq disparitions avaient été dénombrées à Drehu. Grave pour une île de 1150 km2 dépassant celles de la Martinique et de Tahiti. Ces personnes étaient des deux sexes et d'âge varié. Ces tragédies avaient un point commun ; une auréole mystique. Le cas d'une femme d'une tribu du bord de mer qui est allée passer plus de deux semaines chez les morts, était certainement l’incarnation du spiritisme à son apogée. Aucune étude ne s’est jamais intéressée au phénomène et les pouvoirs publics en sont démunis. Le problème est plutôt perçu comme une plaie. Les religieux et les autres bêtisiers du genre perçoivent au fond, une manifestation méphistophélique. La culture kanak rappelle seulement le lien entre les deux mondes ; le visible et l’invisible, le palpable et l’ordre du mythe. Une disparition et une réapparition sont la réappropriation de la notion de l’évolution parallèle de deux mondes. Ne sont-ce que les manifestations de voyages aller/retour vers le monde des aïeux … 

Publié dans Culture Kanak

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