Mots pour Maux : Sylvie Coquillard, poétesse et nouvelliste nous offre une très émouvante nouvelle

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

Courage, Barnabé !

                   

« Ici dans mon quartier, à l'angle de la rue Rollin et de la rue Cardinal Lemoine, j'ai rencontré un ami ! C'est Barnabé ! Il n'est pas très causant, c'est plutôt le genre pensif, un rien résigné. Il est posté en sentinelle devant l'établissement qu'il représente ; les 1001 Nuits.... À monter la garde ainsi, il n’a guère le loisir de se répandre en échanges superflus. A force de le croiser, il s’est instauré entre nous une drôle de connivence. Je pense même que, dans son for intérieur, quelquefois, il attend mon passage ; nous avons alors, l'un pour l'autre, de secrètes paroles puisque nous nous sommes apprivoisés !

Il est endurant mais je sens bien qu'il fatigue. Comme je suis tentée, parfois, d'aller passer mes bras autour de son cou, lui dire, en tendresse et en gestes, des paroles de réconfort :

"Courage, Barnabé !»

 

Eté comme hiver, tous les après midis, il tient sa faction comme les gardes de Buckingham Palace sauf que lui, il n'a pas de couvre-chef pour le protéger des intempéries.

Pire, il accomplit sa tâche sans en avoir le prestige...Il appartient au petit monde des oubliés.

Tout au plus, on lui jette un regard vite repris. Les gens sont blasés, ils s'en foutent pas mal de sa petite besogne anonyme : Barnabé, il prend la pluie, le vent, les excès de soleil dans une indifférence générale...

Et pourtant, c'est une belle figure ; faut juste « les yeux du dedans » pour voir !

Sans doute l'avez-vous deviné...Barnabé est une petite âme modeste enfermée dans un corps inerte ; un simple chameau en peluche !!!

A l’origine, il devait avoir fière allure, un port de tête royal, il a encore ce je ne sais quoi qui ressemble à une élégance !!!

A présent, pelé par endroits, il est affligé d’une sorte de lèpre honteuse. Son regard borgne ne trouve sans doute qu'en moi, une tacite reconnaissance.

Comble d’infortune, au fil du temps, une de ses pattes a dévié le laissant boiteux. Un jour, c’est sûr, il flanchera tout à fait.

Quand je le vois, je ne peux m'empêcher de penser à l'autre, le p'tit cheval " dans le mauvais temps" ; lui, Barnabé, personne ni derrière, ni devant !!! Juste lui et une foule vague qui passe et l'ignore.  J’ai oublié de dire qu’il est bossu aussi... et même pas un pékin pour aller toucher cette bosse là, histoire que ça lui porte Bonheur. Il n’est donc qu’un Destin de "chose utilitaire", cette enseigne bâtarde qu'on sort à l'ouverture du café des 1001 Nuits et qu'on rentre quand le dernier client se décide à partir.

« Courage Barnabé ! »

Un jour, il finira à la décharge ; j’ai le cœur qui se serre à cette pensée là.  Salauds de patrons qui sans se soucier de lui, trinquent et rient tri dans leur antre oriental !

J'ai même pensé à l'acheter, Barnabé. Mais avec toute la place qu'il tient avec son grand corps fatigué, où je le mettrais donc, le vieil Ami? C'est évident, il ne tiendrait pas dans les 45 m2 de l'appartement que j'occupe au quatrième étage.

J'échafaude encore des solutions. Parfois, je rêve même tout à fait qu'un jour, il verra son désert, celui que sillonnent ses frères caravaniers.

"Courage, Barnabé!"

Je sais, je sais qu'il sait que lorsque j'ai ces mots chuchotés à son adresse, tout bas, d'une voix étranglée par une grosse émotion, c'est aussi pour moi que je parle.

Ma solitude ressemble fort à son exil et nous avons bien des détresses en partage pour tricoter les mailles de nos solidarités. Alors, au nom de nos peurs communes, de nos incertitudes et de nos vides, c'est comme une petite chaleur au creux du ventre :

"Courage, Barnabé !" »

 

J’en étais là de tout ce fatras d’émotions quand tout à coup, j’ai senti un souffle me répondre :

« Merci ! Merci pour l’espoir, merci pour le soutien que tu me donnes depuis tout ce temps. Et surtout sois tranquille, là où je m’en vais, je vais trouver le plus beau des recommencements. Tu avais raison, toujours garder courage, la vie, quand on croit en elle, nous réserve …le meilleur ! »

Je me suis écartée, j’ai regardé mon vieil ami et au travers de mes larmes, j’ai vu son œil unique briller comme un soleil. Il brillait et je crois même. -j’en suis sûre ! - qu’il souriait… »

 

Sylvie COQUILL’ARTS

 

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Publié dans Nouvelles

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