Nuelasin numéro 46, le petit de journal de Tieta est disponible

Publié le par ecrivainducaillou.over-blog.com

Nuelasin numéro 46, le petit de journal de Tieta est disponible

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Bonjour,

Mardi soir, je reçois un SMS de Pyks. Hier, c’était le coup de fil de Wetris. On avait fait les études ensemble à Grenoble à la même époque. Ils me rappelaient que le corps de Jeanjean allait partir par le Bético du vendredi. C’était triste. Et je me mis à penser à un autre grand frère. Une partie de ma vie avait coulé avec lui. On revenait de Châtillon-sur-Seine dans nos années de vacances d’été. Nous étions allés pour les vendanges dans la région de la Côte d’or. Oui je me souviens comme si c’était hier. Jacques Hnau. On était dans le même compartiment du train qui nous ramenait à Lyon. Plusieurs autres vendangeurs se mélangeaient à nous. Jacques jouait de la guitare. On chantait ; des chants de chez nous. Un moment, je sortis pour prendre l’air. Je ne supportais plus la fumée de cigarette et la buée sur les vitres. Il me rejoignit quelques temps après. Lui non plus, ne supportait pas la fumée et les bavardages des gens plus saouls que nous. Je lui demandai de m’apprendre une chanson en Maré. Il sortit un carnet de notes de sa parka et copia Nengone ne guhna en chantonnant machinalement. Il enjoignit la traduction avant de déchirer la page qu’il me remit. J’étais heureux. Il parlait d’un vieux de Nengone qui est allé en France pendant la guerre et qui a voulu manger une orange. Il voulait la manger cette orange mais il ne pouvait pas parce qu’elle était à vendre et qu’il n’avait pas le sou. Il resta debout avec la pensée qui allait chez lui là-bas à Nodei Nengone où il pouvait manger des oranges à volonté. Elles sont sûrement plus sucrées que celles exposées sur l’étal. C’était la traduction disait-il. Nous restâmes quelques temps entre les deux wagons pour l’apprendre. Chose difficile à cause du bruit des roues de la machine sur les rails. On revint alors dans le compartiment et avec les autres étudiants vendangeurs on se mit à chanter Nengone sur un air de ukulélé. C’étaient Wetris et Kiki qui jouaient l’instrument pendant que d’autres voyageurs arrivaient pour partager ce moment de communion entre nous. On s’entassait à plusieurs dans le même compartiment. Après le contrôle de nos tickets l’ambiance descendit d’un cran. Les autres voyageurs regagnèrent leurs places. Le calme vint avec le sommeil. On s’endormit jusqu’au terminus. C’était le lendemain qu’on arriva à Grenoble. Jacques et les autres étudiants étaient descendus à la Pardieu. Nous ne nous sommes même pas dits au revoir. On se perdit de vue. 

Combien de temps après, j’appris que le grand frère était parti dans un accident de la route entre Hunöj et le col Boula. Max N. était mort le soir de son mariage, là-bas à Poindi-Wimia. Je ne savais même pas qu’ils étaient déjà rentrés au pays. Depuis, leurs souvenirs luisent toujours en moi. Jeanjean, Jacques et Max sont des frères de ces années où les études universitaires étaient vraiment difficiles. Pas tant les études mais surtout nos conditions de vie. Nous n’avions pas les moyens de la génération d’aujourd’hui. Souvenir quand même. 

Je vous livre à tous le récit ci-après d’un autre vieux (au sens local) de chez nous et d’une autre époque.  

A ma mère

J’entends encore son rire sec et étouffé, comme si elle allait suffoquer. Un sanglot d’enfant empreint de retenu comme si rire était un manque de respect. Elle était comme ça maman. Très discrète et même qu’elle nous disait sans arrêt de ne jamais rien demander à personne. Sauf que de l’autre côté, elle nous conseillait de donner, au sens d’être toujours au service des plus nécessiteux. Avec le recul, je me rends compte de cette dimension du cœur qu’elle a en elle. L’amour.  

Un jour, elle s’est ouverte à moi en levant un voile d’une partie de sa vie. On l’a mariée à 16 ans. Sûrement un mariage arrangé comme pour beaucoup de couples à cette époque-là. Elle était très jeune et les vieux en avaient conscience. Mon grand-père et les autres hommes du clan tinrent conseil. Ils dirent à papa de partir pour laisser maman toute seule à la maison. Le temps qu’elle grandisse, pensaient-ils. Un an après son retour au foyer ; mon grand frère naquit. Maman avait tout juste 18 ans.

On vivait de produits de la terre et de quelques cochons qu’elle élevait. Je me souviens encore de certains jours de marché à la tribu, maman se réveillait de bonne heure pour faire des crêpes, dont elle seule connaissait les ingrédients et de comment aguicher sa clientèle. Elle nettoyait ensuite quelques tubercules d’ignames, de patates douces et des légumes. C’était surtout des choux et des tu[1] (prononcé tout.)

Moi, je préparais mon attirail pour la pêche. J’attachais un hameçon et un plomb à ma ligne que je fixais après au hajujuny en sö [2]ou hnë [3], deux bois très flexibles que j’ai pris soins de couper dans la petite forêt non loin de la maison. Alors que je préparais ma canne à pêche, que déjà mon esprit esquissait le sentier et surtout l’endroit où je devais m’accrocher au bout des racines de banian suspendues dans le vide. C’était aussi excitant que tout mon être vibrait. J’étais déjà le grand pêcheur de la tribu comme ceux de la génération du dessus. Je m’autorisais toutes ces pensées. Maman me supplierait d’arrêter de pêcher parce qu’il y avait trop de poissons à la maison. J’en riais. Tout seul. J’avais mes petits coins secrets que je gardais jalousement. J’en avais une dizaine aussi poissonneux les uns que les autres. 

Aussitôt arrivé, je lançai ma ligne. Les appâts étaient des petits crabes violets. Je ne mettais pas beaucoup de temps à attendre. La ligne raidissait et faisait éclater la ligne d’eau des têtes des poissons que je levais avec force. Jubilatoire ! J’étais transporté. Une joie débordante que je devais contenir pour ne pas effrayer les esprits qui gardaient l’endroit. Si les prises étaient nombreuses, je ne changeais pas d’endroit. Je restais là jusqu’à midi ou bien vers la fin de la journée. Je ne rentrais jamais le soir pour ne pas inquiéter maman. Et elle souriait tout le temps en me voyant arriver avec ma gibecière accrochée sur l’épaule. C’était ma part pour le dîner. Je l’aidais à amener la pitance. J’étais fier mais maman aussi était fière de moi. Je le voyais bien dans ses yeux lorsqu’elle me parlait ou lorsqu’elle me regardait. Elle était soulagée. Non moins de ma contribution mais surtout que je sois rentré de ma partie de pêche. D’autres enfants de mon âge tombaient dans des crevasses ou disparaissaient. C’était angoissant. 

Mais cette inquiétude parentale, je l’aurais dans la conscience bien plus tard.

Pour la génération, vu notre jeune âge les produits de la pêche étaient considérés comme des prises de guerre. Même si nous n’avions aucune idée de ce que cela représentait. La guerre, c’était grand-père Atrea-qatr qui nous racontait. Il était un ancien combattant de la guerre de 14/18. Et ramener du poisson à la maison suscitait des réactions dans toute la tribu. Il y avait de l’estime à celui qui en pêchait le plus. Son nom passait de bouche à oreille et de famille en famille. C’était énorme. Nous étions devenus des demis adultes pour notre âge. Pour ma part, le sourire de maman me suffisait. Amplement.

Une fois Hminyiajë me fit une confidence : « Quand je te vois ramener du poisson à la maison je revois ton père le soir à son retour de la pêche. Parfois, je me levais à des heures indues pour lui préparer un bol de thé chaud ensuite je vidais tout le poisson qui devait rapidement être placé sur le fumoir au-dessus du feu dans la case. » Le fumoir était une roue de bicyclette raccommodée qui servait de support pour enfumer les aliments. C’était notre seul moyen de conserver et d’être sûr d’avoir tout le temps du poisson. En ce temps-là aucun foyer n’était équipé d’un appareil de conservation. Ni réfrigérateur, ni congélo. 

La première prise fut fêtée avec enthousiasme. C’était un samedi après le marché. Maman était revenue sans rien. Le poissonnier était absent pour cause du mauvais temps de la veille. Ma mère avait tout vendu de sa cargaison de crêpes et de patates douces. Au retour, elle était taraudée par l’idée qu’on n’aurait pas de poisson pour mettre dans la marmite du soir mais aussi du lendemain. Et je voyais la désolation en elle. Elle peinait de me dire qu’on n’aurait rien pour dimanche. Ma réaction ne se fit pas attendre. Je pris la ligne qui traînait, suspendue sur la tonnelle et avec le couteau rouillé de grand-mère, je partis. C’était la marée basse des longs mois de juillet. J’avais idée de ramener des bigorneaux, des trocas et des bénitiers. Surprise ! Dans un trou d’eau, je vis un sisa, une bande de perroquets bleus surpris par le retrait de la marée. J’en tuais huit avec le vieux couteau. Je sabrais le tout venant. En remontant, je laissais mes prises à l’abri sous un cica[4], et je partis prévenir maman pour m’aider à rapporter la cueillette. Maman. Elle avait l’œil pétillant qui brillait. Des coquillages oui, mais du poisson comme c’était le cas, relevait d’une part de mystère : « Oui, mon fils. Les esprits des vieux du rocher étaient avec toi. Que le très Haut soit loué. Nous avons de quoi mettre dans la marmite ce soir mais aussi demain. Tout à l’heure, tu iras chercher la bénédiction chez grand-mère Wawatra en lui offrant deux iebuluu. Tu verras mon fils que tu ne rentreras jamais bredouille de tes parties de pêche. C’est maman qui te le dis. » Maman me parlait ainsi dans la voix d’une diseuse de bonne aventure. L’Infatigable maman. En veillant sur nous, elle gardait l’œil et la pensée sur tout. On n’avait pas grand-chose à la maison mais on ne manquait de rien. Hminyiajë était une femme, tout simplement elle-même, une maman aux ressources insoupçonnées avec un cœur et une âme dans un corps frêle. Et dans mes questionnements à son sujet, je fus toujours amenée à me demander comment un bout de femme ait pu porter toute la fratrie de huit enfants que nous étions. Deux des nôtres n’étant plus de ce monde.  Grands Dieux !

Mon père nous a quittés en 1965 quand j’avais 8 ans. Et de 1965 à 2003 date de la mort de maman, elle nous a assumés toute seule. Quelque fois comme un fardeau, me disais-je, mais elle ne s’est jamais plainte. Elle nous couvrait seulement par devoir et toujours avec amour. Jamais femme ne fut plus occupée que ma mère.

C’était comme cela que je la voyais.

Du repos, jamais et les journées étaient très longues. Elles s’ouvraient par une méditation, profonde, au premier chant du coq pendant que toute la maisonnée encore dormait. Moi, je la regardais au travers de la paupière de mes yeux englués. Je l’entendais murmurer une prière. Après les paroles d’exhortation, elle sortait en nous laissant dans la case. J’ai toujours dormi dans une case jusqu’à l’âge de 8 ans. 

En Drehu (Lifou, Île Loyauté, NC) Uma ne Meköl… La maison du « dormir ». L’habitat traditionnel. Notre foyer était constitué d’une case, une cuisine et une petite maison en torchis pour manger. Dès 7 heures, le monde était déjà debout pour partir aux champs. Pendant les vacances scolaires, on assistait maman dans toutes ses pérégrinations. Les champs, quel grand mot ! Le plus proche se trouvait à 2 ou 3 km. Le sentier rentrait dans la forêt dans laquelle maman donnait à manger aux cochons dans leurs parcs. Il y en avait bien une bonne dizaine et c’était beaucoup à nourrir pour une femme comme maman. Elle tenait bon. C’était aussi une source de revenus pour payer nos fournitures scolaires. 

La petite forêt donnait accès au deuxième champ après une marche d’une bonne heure. Un bonheur pour moi de marcher devant les autres. Je jouais ainsi le rôle de l’homme de la maison. Cela poussait maman à dire qu’après le départ de papa, c’était à moi qu’incombaient toutes les responsabilités. L’homme en question n’avait qu’entre 12 et 13 ans. J’étais fier.

Aux champs, ma mère s’affairait dans toutes les tranches parcellaires. Quelque fois j’ai dû penser qu’elle était déjà rentrée à la maison alors qu’elle était encore en train de soigner un pied de salade, cueillir des tomates ou couper de la canne à sucre pour mes 2 sœurs et moi … elle était à l’autre bout de son lopin. 

Nos repas en ces temps-là, parfois, étaient constitués de la salade de laitue sauvage baignée dans du jus de coco et de petites tomates écrasées, ramassées sur le bord des chemins en revenant des champs. Une boîte de sardines « Pilchard » accompagnait le tout. C’était le bon repas pour la maison, avions-nous tant aimé. Plus tard je saurais que nos repas habituels de poissons frais étaient meilleurs.

Hminyiajë était ma mère et mon père à la fois… elle s’est dévouée corps et âme à l’éducation des enfants de la maison que nous étions. Je lui suis très reconnaissant. Je ne l’oublierai jamais. 

Hminyiajë comme je l’aimais, ma mère.            Hmihmi Kaudre 

Bonne lecture de la vallée et bonne deuxième rentrée scolaire.              Wws


[1] Solanum nigrum L. Solanacées, brède-morelle, morelle noire.

[2] Allophullus ternatus Radlk (A. timorensis (DC.) Blume, = A. cobbe Bl.). Sapindacées, faux kohu.

[3] Podonephelium Homei Radl (= P. Leplanchi Baill. = P. stipitatum Baill. = Cupania stipitata Pauch et Seb, = C. erioglossoides Panch = Ratonia Homei Seem). Sapindacéés, faux chêne tigré ou pommaderis-ail.

[4] Excoecaria agallocha L. Euphorbiacées, palétuvier blanc.

Publié dans Culture Kanak

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